Liberté
pour tous les prisonniers politiques,
Liberté pour Leonard Peltier,
Bonjour à toutes et à tous,
Voici ci-dessous la très belle lettre écrite
par Christian Laborde à l'attention de Georges Bush pour demander la
grâce présidentielle en faveur de Leonard Peltier. Elle a été
publiée dans l'édition du Monde du 7 février 2001.
On est nombreux à penser que Bush serait plutôt enclin à
asséner le coup de grâce à Leonard en le faisant sangler
sur une table s'il en avait la possibilité.
Mais si la lettre de Christian Laborde ne parvient pas à toucher le coeur
sans compassion de celui qui sévit maintenant à La Maison Blanche,
elle interpellera sans doute la conscience d'un grand nombre de francophones,
et nous lui en sommes très reconnaissants.
Céline Vaquer-Nos
pour le LPSG-France
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Liberté pour Leonard Peltier !
par Christian Laborde
MONSIEUR BUSH, je vous écris d'Euskadi, grain de beauté rouge
et vert sur la joue de la vieille Europe. Je sillonne ce lopin de terre rebelle
avec, dans mon sac à dos, des mots, du vent, et des aérosols pour
écrire sur la
peau des pierres le nom de Leonard Peltier.
Leonard Peltier, Anishinabe-Lakota, né en 1944 dans le Dakota du Nord et qui a grandi sur la réserve de Turtle Mountain, est incarcéré depuis vingt-cinq ans dans une cellule du pénitencier fédéral de Leavenworth, Kansas, non parce qu'il aurait tué, à Oglala, deux agents du FBI - nous savons qu'il n'en est rien ! - mais parce qu'il est indien. Autrement dit, Mandela est toujours incarcéré dans votre immense pays.
Oglala, Monsieur le Président, remember Oglala ! C'était en 1975. Oglala : « A noir », disait Rimbaud, et noire la terreur qui régnait sur ce village situé dans la réserve de Pine Ridge, où Leonard Peltier, membre de l'American Indian Movement (AIM), avait établi un camp de défense à la demande des Anciens traditionalistes.
Terreur ? Oui ! De 1973 à 1975, soixante membres et supporteurs de l'AIM ont été assassinés sur la réserve de Pine Ridge par les Goon's, escadrons de la mort pareils à ceux qui terrorisèrent les populations du Salvador et du Guatemala. « Il y avait même eu des enfants tués. Des maisons avaient été incendiées. C'était la panique à la oindre pétarade de voiture », note Archie Fire Lame Deer dans Le Cercle sacré.
Ecoutez Archie, l'homme-médecine, Monsieur le Président : « C'est dans cette ambiance que les deux agents du FBI débarquèrent au camp de l'AIM, près de chez Jumping Bull, en disant qu'ils étaient à la recherche d'un jeune gars qui avait volé une paire de bottes. Tout le monde était au bord de la crise de nerfs ; il y eut un coup de feu, et ce fut l'enfer. »
Au sol, le corps de Joseph Stuntz, ami de Peltier, dont la mort n'intéressa personne, et ceux des deux agents du FBI. On accusa Peltier, organisateur du Trail of Broken Treaties, la piste des traités violés, d'avoir tiré sur eux. Le procès de Peltier se déroula dans le Dakota du Nord, « Etat hostile aux minorités, devant un juge notoirement connu pour ses sentiments anti-indiens », précise l'accusé.
Un vrai procès, avec « irrégularités et falsification d'un rapport balistique », comme l'indiquera, en 1981, un document du FBI de 12 000 pages transmis aux avocats de Peltier.
En 1992, le procureur Lynn Crooks admettra que « le gouvernement américain
ne sait pas qui, en particulier, a tué les deux agents du FBI à
Oglala et -qu'-il ne peut prouver la présence de Peltier à moins
de 300 mètres de la
fusillade. »
Un vrai procès, Monsieur le Président, et qui ne sera jamais
révisé ! Le 7 juillet 1993, en effet, le juge Daniel Friedman
refusait, au nom de la 8e cour d'appel, d'accorder un nouveau procès
à Peltier qui purge donc dans le
pénitencier fédéral de Leavenworth deux peines consécutives
de prison à vie. Le parcours judiciaire étant arrivé à
son terme, Leonard Peltier ne sortira de prison que si vous lui accordez la
grâce présidentielle. Elle vous est demandée par tous ceux
qui, comme Desmond Tutu, soutiennent, à travers le monde, le «
Nelson Mandela américain ». Elle vous est demandée par la
vieille Europe. La France, dont les ministres aiment parler de droits de l'homme
et d'ingérence humanitaire, considère que la situation de Peltier
« reste de la seule compétence de la justice américaine
», mais, en France, trois cent huit maires, d'Aguessac à Vouille-les-Marais
en passant par Rodez et Ivry-sur-Seine, ont officiellement signé la résolution
pour la libération de Leonard Peltier.
Ces maires vous parlent par- dessus les frontières qui n'existent pas. Les signaux de fumée de la liberté disposent de la totalité du ciel.
Peltier est indien. Ailleurs il est kurde. En Irlande il s'appelait Bobby Sands, mort dans la prison de Long Kesh avec une poignée de braves dont le vent a pris les corps et les a enterrés dans le cimetière de Wounded Knee.
Le vent, Monsieur le Président, oui le vent ! Sortez de la Maison Blanche, marchez sur le gazon réglementaire, et seul, insensible au fracas volumineux des sirènes, écoutez le vent ! Ecoutez-le parler des peuples qui n'accepteront jamais d'être soumis, de cette « liberté couleur d'homme » chère à André Breton, poète debout sur la place d'un pueblo hopi au Nouveau-Mexique.
Je joins ma bouche à la bouche du vent : graciez Peltier, Monsieur le Président !
Christian Laborde est écrivain.
© Le Monde 2001
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