La loi Partisane
Par Luis Alegre - Professeur.
Publié dans Gara, le 8 aout 2002


 

Afin de commenter brièvement la Loi Organique sur les Partis Politiques, je suppose qu'il serait normal de commencer par démontrer qu'il s'agit d'une loi qui n'est pas conçue pour réglementer la constitution, l'inscription et le fonctionnement des partis politiques en général mais au contraire, pour rendre illégal (du moins pour le moment) un parti politique précis. Il serait logique qu'un éditorial critique comme celui-ci débute en essayant de démontrer avec une certaine rigueur que la loi pourrait s'appeler la Loi de l'Illégalisation de Batasuna; qu'elle pourrait comporter un seul article: "Batasuna doit être déclarée illégale". Evidemment, l'illégalisation continuerait d'être en toute circonstance du ressort du pouvoir judiciaire qui devrait décider si le cas concret à juger correspond au type énoncé par la loi (c'est à dire juger si Batasuna est Batasuna). Il serait logique, comme je viens de le dire, de commencer cet article en tentant de démontrer qu'il s'agit d'une loi "de circonstance", d'une loi qui est sur le point d'inclure des noms propres dans sa rédaction, d'une loi qui est plutôt une condamnation, d'une loi qui repère d'abord le "délinquant" et seulement après s'attelle avec de grandes difficultés à inventer quelque délit duquel on pourrait l'accuser. Cependant, nous pouvons nous épargner toute cette partie de l'argumentation pour la simple raison qu'ils n'ont même pas cherché à le dissimuler en aucune manière !

Ceci étant, le premier point qui attire l'attention est celui de la nécessité même de cette loi. C'est à dire, le fait même qu'il soit nécessaire d'établir, au moyen d'une Loi sur les Partis, une procédure judiciaire d'illégalisation distincte de ce que prévoit le Code Pénal est la preuve que les procédures rassemblées dans ce code ne sont pas suffisantes pour mener à bien l'illégalisation. La première question que nous devons nous poser est: que dit le Code Pénal ? :

"Article 515. Sont punissables les associations illicites selon les critères suivants :

1º Celles qui ont pour objectif de perpétrer un délit ou qui, une fois constituées, incitent à sa perpétration.

2º Les bandes armées, les organisations ou groupes terroristes.

3º Celles qui, ayant cependant un objectif licite, utilisent des moyens violents, d'altération ou de contrôle de la personnalité en vue de sa réalisation.

4º Les organisations à caractère paramilitaire.

5º Celles qui font l'apologie de la discrimination, la haine ou la violence à l'encontre de personnes, groupes ou associations en raison de leur idéologie, leur religion ou leurs croyances, de l'appartenance de leurs membres ou de certains de leurs membres à une ethnie, une race ou une nation, de leur sexe, leur orientation sexuelle, leur situation familiale, leur maladie ou infirmité ou qui les incitent.

6º Celles qui font la promotion du trafic illégal de personnes".

Alors, il en résulte du fait même de la Loi sur les Partis, de sa seule existence, la reconnaissance implicite, non seulement que Batasuna n'est pas une organisation paramilitaire ou terroriste mais en plus, qu'elle n'utilise pas des moyens violents, ni ne fait l'apologie de la discrimination, la haine ou la violence ni, en définitive, n'a pour objectif de perpétrer quelque délit que ce soit. Il s'avère évident que si Batasuna avait pour objectif de perpétrer un délit ou incitait à sa perpétration, il ne serait absolument pas nécessaire d'élaborer une nouvelle Loi Organique sur les Partis si ce n'est qu'au contraire, le Code Pénal suffirait à la déclarer comme association illégale. Mais clairement, l'autre versant de cette affirmation est que donc, la Loi Organique sur les Partis a été concoctée de manière à rendre illégale des organisations qui ne commettent aucun délit !

Evidemment, il y aurait aussi lieu de se demander si le Code Pénal comporterait peut-être des lacunes ou des carences importantes au point de ne pas admettre comme délictueuses des conduites définies qui ne seraient absolument en aucun cas tolérées du point de vue d'un système de droit. Ceci soulève une deuxième question: au lieu de faire une nouvelle loi qui suscite son rejet par la majorité sociale et politique des domaines (territorial et sociétal) où elle va s'appliquer, pourquoi n'ont-ils pas opté pour l'issue beaucoup moins fâcheuse de la modification du Code Pénal visant à désigner comme délit la conduite de Batasuna ? C'est à dire qu'il serait plus facile de se limiter à désigner comme délit la conduite de Batasuna, qu'elle devienne intolérable et de ce fait, qu'elle puisse être déclarée association illicite. Or, s'ils n'agissent pas dans ce sens, il semble raisonnable de penser que c'est parce que cela n'est ni plus facile ni moins  grave. Ceci nous conduit à réfléchir aux motifs de l'illégalisation, à ce qu'ils considèrent comme si intolérable de la part de Batasuna au point de ne pouvoir en aucun cas être inclus dans un code pénal. Ce qui revient à dire  qu'ils seraient probablement tenus d'inclure comme délictueuse (au lieu de se limiter à la condamner moralement) une conduite qui consiste à "garder le silence" après un attentat ou à "comprendre le problème politique dans lequel s'inscrit le conflit armé".

En tout cas, nous pouvons suspecter que, dans le but d'inclure ces éléments comme motifs d'illégalisation dans la Loi sur les Partis, il aura fallu une rédaction suffisamment vague et, dans certain cas, déconcertante. Dans ce sens, elle établit par exemple comme un des motifs d'illégalisation le fait "d'apporter un soutien politique explicite ou tacite au terrorisme, en légitimant les actes terroristes (...) ou en disculpant et en minimisant leur signification". On ne peut éviter de se demander ce que signifie "minimiser tacitement" la signification d'un acte terroriste. Nous avons des raisons de penser qu'ils se réferrent aux situations dans lesquelles Batasuna garde le silence. Il est aussi logique de s'interroger sur ce que signifie "légitimer tacitement" et il y a bien des raisons de penser qu'ils font référence à toute intention d'inscrire le conflit armé dans le contexte d'un conflit politique. Pour finir, la question la plus déconcertante: que peut bien vouloir signifier disculper explicitement ou tacitement ? Evidemment, disculper (absoudre, déclarer exempt de faute ou de péché) n'est pas quelque chose qui correspond en quoi que ce soit à des partis (nous supposons qu'ils ne pensaient pas à l'Eglise et ses pastorales ou à la Cour Suprême et l'affaire Otegi, quoique les choses étant ce qu'elles sont, je ne sais même pas si nous pourrions nous en étonner).

Un autre motif d'illégalisation est celui par exemple de "completer politiquement" l'action des organisations terroristes. La manière dont ils réfléchissent à ce sujet ne manque pas de prendre une tournure bizarre. Face à un problème politique historique qui a dégénéré en un conflit armé (mené par une bande indubitablement terroriste), ils considèrent la question politique comme un "complément" à l'activité armée. Aucune personne bien pensante ne peut douter du fait que "compléter" l'action des organisations terroristes en procurant des armes, de l'information ou un refuge est une activité passible de poursuites par la justice. Pourtant, on reconnaîtra que "compléter politiquement" est une question beaucoup plus compliquée. Pour autant que l'ETA, en tant qu'organisation politique, défend l'indépendance, il est indiscutable que tout le travail de diffusion et de discussion en faveur de celle-ci (quelque chose de tout à fait légitime) ne peut être considéré qu'à certains égards comme un "complément politique". On peut peut-être arguer qu'ils n'ont pas l'intention d'entreprendre la moindre illégalisation sauf en cas qu'ils puissent trouver des liens qui vont plus loin. Pourtant, si nous voulons défendre un système de garanties, nous devons nous désinteresser de ce que pourrait être leurs intentions et nous préoccuper seulement de ce que la loi autorise.

En tout cas, ce qui interpelle le plus l'attention, plus que la loi elle-même, est la passivité avec laquelle elle a été confrontée par les organisations de gauche, qui peut-être ne tarderont pas à être aussi illégalisées (non pour appartenance, il est clair, à l'ETA ou à sa mouvance, mais peut-être en raison de leur proximité de cette mouvance ou sinon, en raison d'être dans le voisinage de cette proximité ou d'y avoir transité). Il est possible que cette campagne de réduction des droits civils ait sa justification. Il est possible que la seule manière d'obtenir que les violents ne viennent pas à bout de notre système des libertés soit de s'assurer que ce soit les démocrates en premier qui aient raison de celui-ci. Mais il n'est pas possible de nier que le processus de réduction des libertés est en marche et qu'il ne manifeste aucune disposition à s'arrêter de lui-même. Le niveau de violence qui te rend violent est chaque fois plus bas ; le niveau de repression qui te fait devenir démocrate est chaque fois plus élevé. Dans ce sens nous avons essuyé un terrible revers: nous avons eu peur qu'on nous accuse d'être violents en prenant la défense d'une des libertés fondamentales inscrites dans la constitution.

Il se peut que nous soyons plus dans un moment de résistance que d'offensive, mais s'il en est ainsi, au moins nous résistons.

http://www.gara.net/orriak/P08082002/art28196.htm

(traduit du castillan par le Comité de Solidarité avec Euskal Herria de Paris)

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