LE MAPOUDOUNGOUN : LANGAGE DE LA TERRE (71)
Par Ximena GAUTIER GREVE
Lorsque l’esprit habitait dans chaque pierre,
les ondes et la boue se racontaient
des histoires auprès des rivages.
Sur précipices et prairies s’élançait la vie
et naissait une mousse
molle de terre obscure,
molle comme une miette de pan
aux pieds des arbres philosophes.
En ce temps-là les constellations disaient
des propos astrales et énigmatiques
aux espaces vides et infinis.
Un jour la Terre solitaire ouvra sa gorge:
sa voix aux échos multiples
parla dans la sonorité d'un chœur
instrumentale jamais entendu,
mais les étoiles étaient si loin
qu’aucune d’elles ne répondit.
Seulement le silence.
C’est pourquoi elle créa les hommes :
pour causer avec eux…
Ils furent frères des arbres et du ciel
des animaux et du sol.
Elle les balança dans ses bras des herbes
qu'ils partageaient
avec toutes les choses qui existent
et les berça avec sa voix singulière
et complexe, cette expansion de sons multiples
que toutes les espèces comprenaient.
Dans ce monde ils étaient tous frères
humains animaux arbres fleuves
sols nuages fruits cieux...
Et lorsqu'elle parlait, ils répondaient tous:
chacun avec sa corde à lui,
ils parlaient avec leur mère et entre eux
et ce chant était la richesse de tous.
C’est pourquoi les hommes de la terre (72)
n’acceptent ni maîtres ni patronat,
ni l’exploitation de la vie des sols
qui sont la peau de la planète,
ni celle du bois des arbres: la chair
végétale des massifs vivants,
ni celle des eaux des lacs, rivières ou mers,
et encore moins celle d'autres hommes.
Tu sais que j’aime les différences
des peuples originaires:
idiomes chants légendes astres dieux.
L’amour aimant aux seins archaïques.
Mais le Chili ne les reconnaît pas.
Leurs territoires ancestraux sont cédés.
De l’Araucanie et Patagonie
le Chili organise le pillage en imposant
un profit dont le prix est la mort.
J’aime les lois qui incitent à la concorde
et au respect. La liberté avance
sur les rêves ailés des peuples
qui ouvrent ses chemins infinis.
Ecoute Chili!
Ecoute ta terre, celle qui parle
avec le battement du cœur de la montagne
dans le tonnerre vivant de la mer,
au-délà des cascades et colihues... (73)
J'aimerais arriver à l'aéroport de Santiago
et y lire sur une importante dalle en granit:
« Le Chili, pays métis,
reconnait et protège dans sa Constitution
les territoires indigènes et la nation mapuche,
ses modes de vie, sa civilisation, son histoire.
Et leur langue, la langue de la terre (74)
est promue langue nationale comme l'espagnol
et apprise dans toutes les écoles du pays
à tous les enfants chiliens. »
Que nous puissions la voir bientôt.
(XIMENA GAUTIER GREVE).
__________________________________
GLOSSAIRE:
(71) "Mapoudoungoun", le mot des mapuche pour désigner leur langage, signifie " le langage de la terre" ce qui me fait penser qu'un jour la Terre leur parla...
(72) le mot mapuche veut dire "les gens de la terre", de mapu, terre et ché, gente.
(73) COLIHUES (pl.) Le colihue (chusquea culeu) est un genre de bambou de grande taille toujours vert. Partage le sous-bois avec l'aristotelia chilensis et l'aristotelia maqui.
Habite tout le Cone Sud. Peut former des massifs nommés "carrizales" où vivent des papillons, scarabées, oiseaux et rongeurs. Plante de grande importance pour les mapuche qui l'utilisent pour construire leurs chaumières, confectionner des paniers et trutrukas et aussi dans leurs cérémonies rituelles. A cause de sa solidité et vivacité, la plante symbolise l'immortalité des mapuche revendiquée dans le conflit actuel avec le cri:
"Tant qu'il y aura des colihues, des colihues naîtront.
Si l'un d'eux meurt, dix se lèveront".
(74) le mapoudoungoun.
© Copyright 2008 Ximena GAUTIER GREVE. TOUS DROITS RESERVES.