Mapuches, peuple usurpé de ses terres.
Gaëlle Jullien

Les communautés Wenteche, Lafkenche (de la côte), Pehuenche (de la cordillère), Huilliche (dans le sud) et Puelche composent le Peuple Mapuche qui vit essentiellement dans le sud du Chili et de l´Argentine (les Puelches). Essentiellement, car depuis un temps certain déjà, un pourcentage important de la population a été obligé d´émigrer vers Santiago suite aux nombreuses difficultés d´autosubsistance rencontrées. 500 000 Mapuches et descendants vivraient en dehors de leur territoire d´origine.
Le fleuve Bio-bio ouvre l´entrée en Araucanie; " royaume " des Araucans qui est le nom espagnol donné aux Mapuches. Il prend sa source dans les lacs d´Icalma et Galletué dans les Andes pour, après un cheminement de 380 kilomètres, se jeter dans l´Océan Pacifique. 24 260 kilomètres carrés représentent la surface de son bassin.
Entre le 21 et le 24 juin, la nuit de la Saint Jean, selon les " Non-Mapuches " et leur influence " winka ", marque la purification de la nature, le passage à une année nouvelle ; " We Xipantv " ; "nouvelle sortie du soleil ".

Lors de la conquête espagnole en 1550, les Mapuches, fantastiques guerriers, résistèrent pendant de longues années. La "Guerre d´Araucanie" dépeint une étape particulièrement violente, "sauvage" et sanglante dans l´histoire mapuche et espagnole. Certains récits de vie furent presque mythifiés; tel celui de Lautaro qui assassina Pedro de Valdivia, de Caupolicán... .
Le Pacte de Quillin en 1641 mit fin à ces nombreuses luttes. Il incorpora 20 des 30 millions d´´hectares du sol mapuche au Chili colonial et accorda aux Mapuches une grande autonomie sur leurs terres réduites à 10 millions d´hectares au sud du Bio-bio.
A l´exception de Valdivia (dans la dixième région), quasiment aucune localité espagnole ne s´est développée en zone mapuche.
Les Pehuenches, à l´ouest, entretenaient dès la fin du 17 ème siècle des relations commerciales avec les Espagnols afin d´obtenir une protection armée de leur part.

Mais nous n´allons pas " remonter le temps " en fixant l´aiguille sur 1550 pour vivre, comprendre et expliquer l´usurpation des étendues mapuches.
Nous resterons beaucoup plus près et parcourrons des parents de nos grands parents, ou de nos grands parents, ou enfin, de nos parents, jusqu´à aujourd´hui.


" Grimpons "

En 1850, quarante ans après l´indépendance chilienne, se réalise une politique de peuplement pour le sud du pays. Les colons, encouragés par le gouvernement, viennent de Santiago et de l´étranger, essentiellement des Allemands.

L´état envisage d´abord de donner un titre gratuit aux Mapuches pour les terres qu´ils possèdent.
Cependant, l´idée qu´il n´y aurait, alors, plus d´espace libre dans le Sud, suite à l´octroi de ce titre, prend forme dans les esprits à Santiago.
Les terres, là-bas, regorgent d´énormes potentialités.

Une décision radicale doit être prise.
En 1866, le Colonel Cornelio Saavedra se trouve à la tête de l´opération de déclaration des étendues comme étant dorénavant des terres publiques !!!
Le moteur qui propulse cette armée tourne sur quatre mots: " La Pacification de l´Araucanie ".
Une commission de réduction est créée.
Les processus de radiation, de rétrécissement et de remise de titres de " Merced " qui délimitent les nouvelles frontières de chaque parcelle attribuée à un cacique pour le groupe familial dont il est responsable, à toute allure, frappent le rythme.

En 1881, l´opération est bouclée.
A l´aube du vingtième siècle, la société Mapuche, toute entière, est en crise.

Le gouvernement reconnaît 3 078 titres pour une superficie totale de 475 194 hectares et " protège " ! 77 800 indigènes.
Or, le recensement de 1907 indique déjà que la communauté Mapuche s´élève à 110 000 individus, sans compter ceux vivant sur l´île de Chiloë; l´île des mouettes.

D´autres mécanismes poursuivent ce morcellement et contribuent à la perte des terres.
L´état estime avoir " donné " 5 hectares par " individu " or, les familles mapuches s´agrandissent. En 1965, cette moyenne n´atteint pas deux hectares par personne et aujourd´hui, à peine 3,5 hectares doivent suffire à toute une famille.
En 1927, une loi permet la division des titres alors que dans la pratique, très généralement, les communautés ne se séparent pas. Cela entraîne des ventes de terres à des particuliers et des " usurpations légales " sur la base d´écrits.
L´état leur concède aussi des " titres d´occupation gratuite " sur environ 500 000 hectares en veillant bien à ne doter les occupants d´aucun type de reconnaissance légale.

En conclusion, des 10 millions d´hectares correspondant aux terres du sud qui étaient encore habitées par les Mapuches dans la première moitié du 19 ème siècle, l´état leur en octroie 500 000 et leur laisse en occuper 500 000 autres, sans protection aucune.
S´ajoute, à cette réduction meurtrière, au fil du temps, l´augmentation de la population, la diminution des terres par usurpation et, parfois, la donation d´autres terres.

L´aiguille de notre " véhicule" indique maintenant : 1900 et le double scénario nous écrit : " Fin de la Pacification ; Les Mapuches sont coincés dans un dixième de leur territoire ". " Destinée des nouvelles terres mapuches "...

Appuyons légèrement sur l´accélérateur. Les Mapuches, qui depuis dès siècles, déploient une excellente gestion de la terre et migrent à dos de chevaux, suivant les périodes de l´année de l´autre côté de la cordillère des Andes, se transforment, par la force, en petits agriculteurs. Ils deviennent " les Gens du Blé ".

Nous devons absolument marcher, pas à pas, pour saisir les prises d´orientation politique et les réactions du peuple mapuche. Les données vont donc être remises dans leur contexte historique durant un court mais indispensable instant afin d´entrevoir correctement la coloration du nuage menaçant qui grossit au dessus de l´Araucanie.

En 1910, le peuplement, la colonisation se poursuit en territoire mapuche. Le mouvement n´est pas identique à celui qui a eu lieu durant les précédentes décennies. Il s´agit de groupes dispersés, de différents horizons et sans réel, ou plutôt sans direct appui de l´état. Mais, parallèlement, cette occupation se révèle beaucoup plus féroce.

L´exemple de la " Sociedad del Budi ", présidée par le fils aîné du Président Arturo Allessandri (de 1920 à 1925 et de 1932 à 1938) et frère du Président Jorge Allessandri (de 1958 à 1964) illustre parfaitement ce caractère ravageur.
Cette entreprise reçoit en concession toute la zone autour du lac Budi : du fleuve Impérail jusqu´au fleuve Toltén; soit une aire d´une longueur de plus de 50 kilomètres et qui, dans sa largeur, comprend toutes les cordillères boisées de la côte. Le contrat stipule que le bois peut y être exploité pourvu qu´il y ait introduction de familles étrangères; il faut comprendre, bien évidemment, " familles non mapuches ".
La région donnée en concession est peuplée de familles indigènes et bien que la concession n´octroie pas la propriété, elle donne le droit à une exploitation sans limite du bois.
Déjà en 1930, la région " del Budi " est ravagée par la déforestation et les Mapuches y vivent dans des conditions de misère !

Les scandales sont si nombreux dans la région sud du pays, suite aux limites imprécises des titres de merced et des nouvelles propriétés qui essayaient de s´élargir, que la " Comisión Risopatrón " se penche sur la situation. Elle note déjà, dans ses conclusions présentées au parlement chilien, une situation d´impuissance en constatant que la " loi de la jungle " (" ley de la selva ") s´est imposée comme unique instrument de délimitation légale dans les terres australes !

La " Sociedad Caupolicán Defensora de la Araucanía ", composée pour une grande partie d´instituteurs primaires mapuches, lutte pour une " intégration respectueuse " depuis 1910.
En 1930, milite la nouvelle génération de Mapuches, déçus par l´échec d´une revendication basée sur le respect. Ils sont en partie entendus par le gouvernement militaire et dictatorial de Carlos Ibañez.
En 1932, et pour une période 15 ans, la tendance du gouvernement change mais le " Front Araucan " (" El Frente Araucano ") marque une activité importante.
Carlos Ibañez revient à la Présidence en 1952 et dans son gouvernement, Coñoepán, Mapuche, qui s´est rendu au Mexique pour la Conférence Indigène Interaméricaine sous l´initiative du Président L. Cardenas en 1934 et qui collaborait déjà activement avec le Président chilien P. Aguirre Cerda en 1940, occupe le poste de Ministre des Terres et de la Colonisation.
Le pays se trouve dans une situation économiquement favorable et la " Corporación Araucana " atteint son déploiement d´activité maximal.
Le Département des Affaires Indigènes (DASIN) est créé afin, notamment, d´octroyer des bourses aux étudiants mapuches.

Coñoepán, conscient du danger représenté par la division des terres contenues dans les titres de merced déploie son énergie à s´y opposer.
Mais malgré cela, les effets de la loi de 1927 qui justement permettait cette division, se font cruellement sentir. Les communautés n´occupent que très rarement certaines parcelles divisées; un nombre important de terres sont légalement usurpées.
Le cachet et le papier étant constitutifs de légalité, la politique de la " course aux timbres et aux signatures sur documents " bat son plein.

Des 500 000 hectares légalement protégés par des titres de merced, 130 000 sont usurpés ou perdus suite à cette politique de récupération des divisions. Pour les terres non protégées, la situation est plus chaotique encore.

Cinq jours avant les élections du mois de septembre 1970 qui ont vu triompher Salvador Allende, se produit alors la première occupation de terrain revendicative des Mapuches.
Contrairement à ce qui aurait pu être soutenu, elle ne résulte pas d´une planification du Mouvement Révolutionnaire de Gauche (MIR) ni du Mouvement Révolutionnaire Paysan. Cependant, les occupations qui suivirent furent "récupérées et baptisées" par le MIR.

La réforme agraire et la loi d´expropriation du gouvernement socialiste qui attribuent immédiatement 30 000 hectares aux Mapuches rendent les occupations de terrains pleines de succès. Cela consolide indirectement l´image du Mapuche extrémiste et révolutionnaire et reflète également l´intégration "nativiste" prônée par les partis politiques de gauche.

Toutefois, peu après la réforme agraire, le " mouvement indigéniste " se discrédite. La revendication des Mapuches va plus loin que celle retenue.

Si le sol est revendiqué, l´identité l´est également puisqu´elle se forme dans la relation avec la Terre.
Or, la politique ne se sent pas encore prête et mûre à placer les Mapuches dans une dimension complète de reconnaissance et de respect.

Mais, il est trop tard ! La " prétendue information" est véhiculée, les occupations se multiplient; certaines régions de l´Araucanie "brûlent". Les fantômes ont reçu leur souffle ! Les jeux sont faits et les dés jetés.

La répression subie par les Mapuches commence " bien avant septembre 1973 ". Pour la première fois, les manœuvres d´été de l´Ecole Militaire des cadets âgés de 15 à 20 ans, ont lieu dans le cœur de l´Araucanie. Le rôle symbolique de la " Guerra Araucana " dans la fondation de l´état chilien est visiblement réactivé et en corrélation directe, le comportement sauvage, guerrier à l´extrême du Mapuche.
Dans le rapport de la Commission Rettig, établi après 1989 qui analyse les violations des droits de l´homme commises pendant le régime dictatorial d´Augusto Pinochet, sont retranscrits des témoignages pour lesquelles peu d´adjectifs conviennent.
En août 1973, les forces armées mènent déjà "à plein tube" ! leur politique de terreur dans les communautés mapuches. Quelques jeunes hommes sont attachés par les pieds à une corde reliée à un hélicoptère en plein vol et sont balayés au-dessus de certains villages... ! Pas moins de 137 Mapuches font partie des individus disparus.


Jetons à nouveau un œil sur l´écran de commande de la machine qui nous accompagne pour notre traversée du devenir mapuche. L´aiguille marque "1973 et quelques années plus tard "... Le scénario tient dans une description d´un paysage conflictuel.


Une loi et deux décrets vont salir, piétiner et écraser l´avenir des terres mapuches. L´un de 1977 autorise la vente, en forme directe et à des particuliers, des terres sur lesquelles était établie une concession gratuite pour l´exploitation du bois.
De plus, la loi 701 de 1974 permet que 300 000 hectares soient achetés ou concédés à des entreprises forestières ou à d´anciens latifundistes de la zone, lorsqu´il s´agissait de terres provenant de la réforme agraire. Elle prévoit également une partie du remboursement des capitaux investis en proportion des hectares " cultivés ".
La majorité des concessions sont pour la plupart octroyées entre 1976 et 1983.
L´autre décret de 1979 s´oppose à la vente des parcelles (" hijuelas ") issues de la division des terres provenant d´un titre de merced mais en autorise amplement la location pour une durée de 99 ans.


Parallèlement à cette politique agressive, la revendication Mapuche prend un chemin plus marqué, plus engagé, plus constructif.
Sous l´impulsion de Melillán Painemal, militant du Parti Communiste et Président de l´Association Nationale Mapuche en 1972, une nouvelle idéologie émerge; un discours d´intégration n´est plus évoqué mais bien une volonté de séparation et de construction d´une reconnaissance de l´identité mapuche.
L´Institut de Développement Indigène ainsi que, différents centres culturels mapuches avec l´appui de Curihuentro et de Huilcamán, voient le jour.

Mais en répondant à le demande croissante mondiale du bois et de ses dérivés, deux conglomérats, les groupes économiques Matte-Larraín et Angelini quadrillent le territoire mapuche.
Le premier, à travers des entreprises forestières " Aserraderos Minico ", " Servicios Forestales Escuadrón ", " Inmobiliaria Pinares ", " Sociedad Forestal Crecex S.A ", " Forestal Rio Vergara " et " Agrícola y Ganadera Monteverde ", contrôle plus de 40 % de la production et de l´exportation du bois dans la région mapuche.
Le second est propriétaire avec le conglomérat nord américain " International Paper " et le groupe néo-zélandais " Carter Holt Harvey ", des entreprises " Celarauco ", " Forestal Cholgán " et " Asseraderos Arauco ". Ces dernières, avec leurs filiales " Celulosa Arauco " et " Constitución " et leurs 107 millions de dollars de chiffres d´affaires, représentent, à elles seules 24 % de la quantité totale du bois mapuche exportée aux Etats Unis, au Japon, en Chine et en Corée du Sud en 1998.

Entre 1976 et 1997, l´aire d´exploitation forestière augmente de 53 % dans les territoires mapuches. Celle destinée à la culture du blé et du maïs passe de 29 à 21 %.
La Commission Nationale Forestière (Conaf) affirme que 75 % des sols productifs présentent des degrés d´érosion dont 98 % sont causés par l´action humaine.
Dans le cadastre du bois natif, elle estime que la végétation naturelle a été détériorée par la pluie de produits chimiques ainsi que par les incendies, voire par les effets du sulfate de soude, de chlore et du pétrole utilisé dans la transformation du bois en cellulose.


Et oui, nous sommes arrivés aux portes d´aujourd´hui. Reculons de quelques pas pour aller nous placer en 1989.

Le scénario représente P. Aylwin discutant avec le Conseil de Toutes les Terres.
P. Alwyn n´est pas encore élu; mais il promet, en cas de victoire du plébiscite mettant fin à la dictature, d´envoyer au parlement une réforme de la Constitution qui reconnaîtrait les peuples indigènes du Chili.
Le Conseil de Toutes les Terres (el " Consejo de Todas las Tierras ") est présidé par Aucán Huilcamán; le fils du principal partisan pour la création des centres culturels mapuches.
Professeur d´enseignement secondaire, il travaille comme expert fonctionnaire pour les Nations Unies de 1996 à 1999.
Depuis 1999, il participe au projet de la " Déclaration Interaméricaine des Peuples Indigènes " et revendique l´urgence de la nomination d´un observateur par la Commission des Droits de l´Homme des Nations Unies pour protéger les droits des peuples indigènes en territoire chilien.

Une vague d´optimisme nous transporte.... enfin, pas tout à fait ! Aylwin est effectivement élu.
Une commission est chargée de préparer la loi, un congrès indigène a lieu à Temuco, capitale de la neuvième région, dans le respect de la dignité.
La revendication des terres prend de l´espace.
Dans un tel climat, toutes les exagérations et situations paradoxales peuvent être imaginées. Certaines sociétés privées, sentant que le vent risque de ne plus souffler dans leur dos, profitent un maximum de cette période de transition entre le gouvernement militaire et le nouveau régime.
La société Galletué de la famille Lamouliat (d´origine française) possède un titre juridique de " commodat précaire " sur un sol que la communauté mapuche Meliñir occupe depuis au moins 150 ans. La société réclame d´abord une indemnisation gigantesque s´il lui faut abandonner l´exploitation ou la jouissance de cette terre. L´indemnité s´élève à près de 85 millions de francs belges. Leur avocat est un des juristes ayant participé à la loi de création du Département des Affaires Indigènes en 1971 !! Suite à la pression politique, la société renonce à l´indemnité mais exige alors, pour agir selon la défense de ses droits !, " le simple transfert de l´habitat des Meliñir " de l´autre côté du fleuve. Les terres y présentant une qualité moindre, les Meliñir survivent en regardant avec nostalgie vers l´autre rive... .

Pendant ce temps, le Conseil de Toutes les Terres, continue son activité.
Il réalise des " occupations de terrains symboliques ".
Une ou plusieurs communautés séjournent pacifiquement durant une courte période sur une terre revendiquée, en la faisant fructifier (en y semant du blé, du maïs...) mais sans emporter avec eux le produit de cette gestion.

Arrêtons nous une dernière fois en 1993 ; l´année des grands espoirs.

La Commission livre le résultat de son travail législatif; la loi indigène. Le parlement lui, marque cette année comme celle des grands espoirs...déçus.
Il n´y aura pas de réforme constitutionnelle ; le Chili est constitué d´un seul peuple homogène.
Comme le poète mapuche Elicura Chihuailaf l´image si bien, " les personnes convaincues de cette homogénéité blanche de la population chilienne, se regardent dans un miroir après avoir pris une douche relativement chaude. Tout est encore embué et elles ont l´impression de distinguer leur teint très blanc. Après être sorties de leur salle de bain, le miroir retrouve son rôle complet, mais les personnes sont déjà en train de marcher dans la rue, fières de cette fausse blancheur et absentes pour observer toute la beauté profonde que le miroir aurait pu leur renvoyer ".
La seule hypothèse de ratifier la Convention 169 de l´Organisation Internationale du Travail relative aux peuples indigènes et tribaux est jugée inconstitutionnelle.

Les communautés Mapuche, Aimara (vivant dans le nord du Chili, le sud du Pérou et le sud de la Bolivie), Rapa Nui (sur l´île de Pâques), Atacameña, Quechua et Colla (dans le nord du Chili, plus au sud que les Aimaras, en partie dans la région du désert d´Atacama), Alacalufe (plus au sud que les Huilliches, dans la onzième région), Yagán (dans l´extrême sud; gigantesque réseau de canaux) et les Idéalistes essayeront, dans la mesure de leurs possibilités, de se satisfaire de cette loi.

Une de ses conséquences fut la création de la Corporation Nationale de Développement Indigène; la Conadi. La direction supérieure de la corporation est à charge d´un " Conseil National " intégré par le directeur de la corporation, cinq sous secrétaires issus de différents ministères, trois conseillés et par huit représentants indigènes. Toutes ces personnes sont choisies par le Président de la République, parfois, sur la base de propositions des communautés et associations indigènes.
Le " Fonds pour les Terres et l´Eau " (" Fondo para Tierras y Aguas ") dépend également de l´institution. L´état ne possède plus d´autres solutions juridiques que de racheter certaines terres porteuses d´une légalité éthique écœurante pour les restituer à des communautés mapuches.

La satisfaction de ce " nouvel outil " s´étendra sur un temps très court, beaucoup trop court. Nous ne remontons plus le temps, nous ne pouvons plus placer l´aiguille et lire le scénario correspondant. Nous sommes au bord de l´engloutissement, la " machine jouet ", après tout ce parcours, n´est pas de taille pour résister à la vision de la cruauté de la stupidité.

Une des dispositions légale stipule que, " dans tous les cas, les terres de personnes indigènes, pourront être permutées, avec l´accord de la corporation, par des terres de non indigènes, de même valeur commerciale correctement payée, en considérant alors les nouvelles terres issues de la permutation comme indigènes et en désaffectant les autres de leur ancien statut ".

Dès 1994, la Présidence du Chili est assurée par le démocrate chrétien; Eduardo Frei.
A partir de ce moment, le dialogue passe exclusivement par l´intermédiaire de la Conadi.
Le Conseil de Toutes les Terres, s´exprimant contre cette non représentation directe des peuples indigènes au sein de la Conadi et contre l´absence d´un réel organe tout au moins mixte veillant au bien être des populations indigènes, est rayé des conversations officielles.

ENDESA, " Empresa Nacional de Electricidad S.A ", qui possède une composition mixte de capitaux publiques chiliens et privés espagnols s´installe dans le haut Bio-Bio. Elle esquisse, schématise un projet énergétique de six centrales hydrauliques.
Une anticipation machiavélique s´agite.

Les travaux commencent en partie sur des terres indigènes alors qu´Endesa n´a encore recueilli aucune signature pour les permutations. Une poignée de professionnels sont engagés, pour se rendre, de maison en maison afin d´obtenir la signature des Pehuenches.
Dans le chronogramme de l´Etude de l´Impact Environnemental, deux semaines figurent pour posséder la signature des femmes.
Ils réemploient les " traditionnelles armes qui soudoient "; de grands paniers de nourriture, des vaches prêtes à mettre bas, quelques bœufs, des chevaux,... . Certains ne signent toutefois pas.
La majorité des personnes concernées savent à peine lire ou écrire. La totalité des Pehuenches n´est nullement en position de défense effective. Comme l´exprime Namuncura, président de la Conadi entre 1997 et 1998: "ceci était simplement possible parce qu´ils s´agissait d´indigènes".

Les permutations doivent recevoir l´approbation de la Conadi.
Le Président Frei, en inaugurant à Pangue le premier barrage, affirme, sans complexe que à Ralco, la deuxième centrale devant être élevée complètement en territoire indigène ou en "futur territoire permuté" va rapidement être opérationnelle.
Ralco, ce serait un barrage d´une hauteur de 155 mètres avec un réservoir de 3400 hectares qui déplacerait plus de 400 Pehuenches. Il faudrait noyer plus de 70 kilomètres de vallée et de forêt... .
Entre 1988 et 1990, à cause de la sécheresse, Endesa a dû importer de l´électricité car les réservoirs situés plus dans le sud du pays n´étaient pas pleins.
A la lecture du rapport de perspectives qu´elle publie en 1996, Endesa reconnaît " qu´il n´y a aucune assurance qu´une période de sécheresse sévère et prolongée n´affecte pas le résultats des opérations de la compagnie "...!

Malgré les propos du Président, les conseillers et le directeur de la Conadi, M.Huenchulaf, votent négativement et rejettent l´Etude d´Impact Environnemental préparée par Endesa.

Il y avait auparavant eu un premier rejet qui avait amené Endesa a acheter un second terrain et à modifier sensiblement son plan d´aménagement.
Ce " nouveau " terrain se trouve éloigné de l´habitait traditionnel Pehuenche; un terrain " pelé " ; sans bois, avec très peu d´eau... et " épuisé " par une culture intensive du blé qui, il y a cinquante ans, était alors exporté vers les marchés australiens et californiens
Endesa fit appel à d´autres professionnels pour construire des maisons, avec cuisinière, eau chaude, sanitaires et autres commodités. Quelqu´un a vraisemblablement rappelé que les Pehuenches aimaient s´asseoir autour d´un feu de bois. Des "casas fogón", des caves, des étables ont été construits. Toutes les fermetures et poteaux d´enclos furent peints en vert !
Endesa, après tout ce travail, digne de constituer l´exemple de projet social participatif catastrophique fit l´acquisition d´un troisième terrain pour le bois puisque sur l´autre, il n´y avait plus rien; d´où l´apparition d´un problème pour l´alimentation des cuisinières, du chauffage... .
La distance entre les deux propriétés s´élève à plus de 20 kilomètres.
Un " bonhomme Playmobil " !, très certainement, amènera un camion de bois de temps à autre pour les Pehuenches ?!

A partir de cette position de refus exprimée par la Conadi, une série de critiques s´abat sur l´institution entraînant presque sa destruction et en tous cas, le renvoi du directeur M.Huenchulaf en 1997.
D. Namuncura, son successeur, après avoir étudié le projet et s´y être également opposé, écrit le livre "Ralco; Pobreza o represa "? ("Ralco; pauvreté ou barrage"?).
Sa carrière professionnelle suit le même chemin que M. Huenchulaf car son vote additionné à celui des 8 représentants indigènes du conseil de la Conadi aurait fait "couler" le projet.

Le peuple Mapuche tout entier, dans une vague de soutien aux Pehuenche exige le déplacement de la Commission des Droits de l´Homme dans la région du Bio-bio.
La Fédération Internationale des Ligues des Droits de l´Homme, dans sa cinquantième session en août 1998, intervient auprès de la Sous Commission de la Lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités des Nations Unies, pour dénoncer après une mission d´enquête, et statuer sur la légalité des permutations déjà effectuées suite à de fortes pressions et des manœuvres parfois douteuses d´Endesa. La défense d´Endesa repose en grande partie, sur les épaules de P. Rodriguez, également avocat d´Augusto Pinochet.

Le Président Frei, lui-même ingénieur hydraulique, en fin de mandat, tient à prouver qu´il sait y faire en matière de gestion des ressources humaines. Il expédie D. Namuncura à la veille d´un vote du conseil de la Conadi relatif à la légalité des contrats d´échange. Les représentants autochtones exigent que ce vote du conseil ait lieu malgré l´absence de directeur. Il n´en n´est pas question, la Conadi était pacifiée! Les représentants se retirent.

Du 20 mai au 17 juin 1999, les Mapuches marchent les 637 kilomètres qui relient Temuco à Santigo pour protester contre leurs conditions de vie, la dégradation et les occupations de leurs terres, le déplacement d´une partie de leur population... .

En mars 2001, ils marchent encore !
Pendant trois jours, ils parcourent la distance de Tiruá, dans la province d´Arauco où résident les Lafquenches, jusqu´à Concepción pour y arriver le 8 mars ; jour international de la femme. Ils accompagnent la " démarche " emmenée en territoire mexicain par le Sous Commandant Marcos… .

Le gouvernement a institué en début d´année une " Table de Dialogue " autour de laquelle sont réunis la Conadi, des représentants du gouvernement, des historiens et sociologues.
Le monde " forestier " n´éprouve guère de satisfaction à ne pas y avoir été convié.
Le Conseil de Toutes les Terres, après en avoir reçu l´invitation, reste sur sa position en réclamant un organe de participation directe pour les peuples indigènes et en soulignant la négation de son statut d´interlocuteur lors de la politique menée précédemment.

Depuis le mois de février 2001, la loi de Sécurité Intérieure de l´Etat s´applique en territoire mapuche suite au désordre et aux actes de violence ainsi qu´à l´incitation à la destruction d´équipement agricole. Une campagne d´incendie dans les cultures des fermiers de la neuvième région, par des individus masqués de cagoules et non identifiés a accéléré la prise de cette décision. Les voix mapuches crient : " Complot et stratégie pour des primes d´assurances ".
Les voix cultivatrices crient : " Dehors les Mapuches ! " Une escalade de la violence s´y enchaîne et s´y déchaîne.
Certains mapuches, la Communauté Pascal Coña et la " Coordinadora Arauco-Malleco " ne croyant plus au dialogue, s´expriment et " agressent " par jets de pierre. Les médias à sensation récupèrent et parlent de " l´Intifada Mapuche " ! !
Les forces de polices, elles, ne récupèrent nullement mais répondent par les armes ; des enfants et des femmes ont été touchés par cette violence durant les six derniers mois et certains autres blessés se trouvent toujours dans un état grave.
La Gouverneur de la région, Berta Belmar, dénonce dans trois cas d´occupations, une réelle mise en scène par des journaux locaux, un montage journalistique afin d´orchestrer une fausse occupation de terrain ! !

Entre temps, depuis quelques semaines, la Conadi, présidée actuellement par le poète Lienlaf traverse une nouvelle tempête.
Des fonctionnaires auraient abusé de leur position pour percevoir de l´argent sur certains contrats de vente. Est montrée du doigt également l´augmentation de son budget pour l´achat de terres à octroyer aux Mapuches. Ici, nous comprenons un petit peu moins.
Le nouveau président Lagos s´était engagé en début de mandat à restituer 150 000 hectares aux Mapuches. Une augmentation de budget ne devait donc pas forcément surprendre d´autant qu´était déjà constatée une féroce spéculation de la part des vendeurs en maintenant les prix très hauts.
Pour ce qui est du " détournement d´argent ", le temps et la justice chilienne nous diront s´il s´agit d´un nouvel ouragan soufflé par le mécontentement d´une classe politique ou d´un comportement illicite, honteux méritant sanctions… .

L´automne s´est achevé il y a deux semaines dans l´hémisphère sud. La région du Haut Bio-bio a enregistré d´importantes inondations. Une enquête est ouverte afin de déterminer les éventuelles responsabilités d´Endesa qui a commencé ses travaux de détournements d´une partie du fleuve pour la construction de la centrale de Ralco. Malgré un retard de six mois, le projet marque un état d´achèvement de 30%. En annexe à cette étude, sera analysée l´existence d´une fissure dans le mur du barrage de Pangue dont font part les représentants Pehuenches… .

Dans des conditions houleuses, soulevant certains doutes, le gouvernement poursuit le rachat de terres, essaie d´imprimer ses convictions dans des programmes inter culturels, éducatifs et sociaux … .

La Saint Jean : un nouveau soleil et le 24 juin est déclaré " Journée Nationale des Peuples Indigènes ". L´Organisation des Etats Américains reconnaît le concept de "peuple indigène", envisage un " Forum Permanent pour les Questions Indigènes ".
La Déclaration Interaméricaine, pas à pas, se rapproche.

Depuis la fin du mois de mai 2001, un " petit virus " circule via Internet prétendant la destitution de Huilcamán de ses fonctions de Président du Conseil de Toutes les Terres, par le tribunal de cette institution pour un comportement jugé trop personnel… .
Un petit lynchage parce qu´une partie de la société le range comme un des principaux " incitateurs au terrorisme rural " ?
Ou l´expression d´un mécontentement parce qu´il chemine aux côtés des Mapuches, à grandes enjambées, avec les Zapatistes, avec Les Sans Terre, …avec ceux qui, tous, avancent, le regard fixé vers l´horizon de la dignité humaine ?

L´écrivain uruguayen Eduardo Galeano écrit à propos de la marche des Zapatistes que " rien de ce qui se passe au Chiapas, rien de ce qui se passe au Mexique ne nous est éloigné.
Dans la patrie de la solidarité, il n´y pas d´étrangers. Nous sommes donc des millions, les citoyens du monde qui là-bas sont présents sans être en train de s´y trouver ".

Nous sommes là-bas, ici, partout !
Après ce survol programmé, il ne nous reste plus qu´à mettre pied à terre et à opter pour notre chemin, pour nos compagnons de route.

Et marchons ! L´objet de la lutte de l´humanité : l´accès à son bien-être, pointe à l´horizon

Texte publié dans L'idéaliste