En octobre 1997, les communautés mapuches
de Pilil Mapu et de Pichi Loncoyan dans la commune de Lumaco,
de Huelle Bajo et de Lleu Lleu en Contulmo et Cañete, entamèrent
une occupation pacifique de terrains en revendiquant 80 000 hectares
des terrains usurpés. Au total, les communautés
mapuches revendiquent à l’heure actuelle 400 000
hectares de terres. Le 12 octobre, les communautés décident
de paralyser les activités de l’entreprise forestière
Arauco et, le 14 octobre 1997, la police intervient brutalement.
L’occupation se solde par plus de quarante arrestations
et plusieurs blessés, et l’expulsion des communautés.
Depuis, tout au long de l’année 1998, les conflits
se sont succédés et la situation n’a cessé
de se dégrader. La solution proposée par les autorités
locales avec le soutien financier des entreprises fut la relocalisation
des populations indigènes sur un territoire périphérique
plus proche. Ce transfert humain devrait non seulement être
une solution au conflit mais permettre que les entreprises forestières
disposent d’une main d’œuvre bon marché
à portée de la main.
Les conflits actuels trouvent leur origine à
l’époque de la dictature. En effet, tout le processus
mené par Allende pour distribuer de la terre aux Indiens
a été stoppé par le régime de Pinochet.
Les terres collectives occupées historiquement par les
communautés mapuches furent divisées en domaines
individuels et les terres dont les titres de propriété
n’étaient pas encore légalisés ont
été récupérées par l’État
et revendues à des particuliers et à des entreprises,
notamment forestières. Depuis, l’exploitation intensive
et la transnationalisation de l’économie de la région
ne se sont pas arrêtées mettant en péril la
survie culturelle des populations indiennes. Les entreprises forestières
installées dans la VIIIe région du Bío-Bío
(région qui comprend la Cordillère des Andes, la
Cordillère de la Côte et des plaines, soit environ
37 000 km2) occupent une superficie de 1 300 000 hectares de bois
artificiel. Le bois naturel qui occupait une superficie de 400
000 hectares se trouve pratiquement épuisé, il ne
survit que dans les petits espaces mapuches.
Depuis le début des occupations des terres
par les familles mapuches, les entreprises forestières
ont riposté en harcelant les populations autochtones. D’abord,
par des " mesures légères ", c’est-à-dire
des annonces verbales les invitant à quitter les lieux,
ou par des menaces d’expulsion, et ensuite en passant à
l’acte: en encerclant purement et simplement les terres
occupées par les familles indiennes avec des barbelés,
et en reboisant autour des maisons mapuches. Les personnes retrouvées
dans les terrains ainsi encerclés, étaient arrêtées
et les animaux tout simplement éliminés. Certaines
entreprises, comme la forestière Mininco, ont fait protéger
ces chantiers par des brigades civiles armées. La première
action de ces groupes paramilitaires fut l’intimidation
des Indiens par l’emploi des armes blanches.
La contamination de l’environnement
Hormis la spoliation des terres indigènes,
les exploitations forestières et le développement
des projets transnationaux provoquent des problèmes de
pollution ou de déstructuration de l’environnement.
Un des principaux problèmes écologiques provoqués
par les usines de cellulose et les plantations de forêts
artificielles est la contamination des sols, des fleuves, de la
mer et de l’air. On a constaté la pollution importante
des plages à proximité de Concepción, produite
par des résidus liquides et des déchets des usines
de cellulose. On a aussi constaté la pollution marine des
baies de Concepción, Coliumo et du Golfe d’Arauco,
la pollution chimique des fleuves, principalement du Bío-Bío
et finalement l’intoxication des populations mapuches, et
des maladies produites par les campagnes de fumigations, des plantations
qui entourent les communautés. Plus grave encore pour l’environnement
et pour les communautés mapuches, seront les conséquences
de la construction par Endesa du barrage hydroélectrique
de Ralco sur le fleuve Bio-Bio (le fleuve le plus long du Chili,
à 640 km au sud de Santiago). Les personnes affectées
sont des familles pehuenches (faisant partie du peuple mapuche)
habitant aux pieds de la Cordillère des Andes.
Près de 600 hectares de leur territoire,
incluant leurs maisons et cimetières, resteront sous les
eaux lorsque Ralco fonctionnera. Il est vrai, la plupart des familles
ont accepté d’être relocalisées sur
des terrains proposés par Endesa, cependant quelques familles
refusent de déménager, car elles ne veulent pas
quitter ces terres qu’elles appellent leurs terres ancestrales.
Ce déplacement, même si le nombre de personnes affectées
est limité, implique la disparition totale du mode de vie
ancestral des Mapuches et des Pehuenches, car les trois zones
de réimplantation proposées ne remplissent pas les
conditions de survie économique et culturelle de cette
population. Il faut savoir que les Pehuenches ont organisé
leur mode de vie rural autour de deux niveaux d’exploitation:
en hiver dans une zone supérieure à 600 m d’altitude,
et en été dans une zone au-dessous de 1 000 m d’altitude.
Or aucune des zones proposées ne favorise l’élevage
pratiqué par les Pehuenches, ni les récoltes de
pignons dont les Pehuenches tirent une partie importante de leurs
ressources de subsistance. Toutes les zones proposées impliquent
donc de profondes modifications dans la pratique de l’élevage
(reconstitution des fourrages).
La passivité du gouvernement
Bien que le gouvernement chilien ait été
informé, au moins depuis la fin de 1997, du mécontentement
des communautés mapuches et qu’il ait su que ce mouvement
allait en se développant et en se radicalisant, il n’a
pas pris les mesures pertinentes. Au contraire le gouvernement
s’est laissé aller à un " aisser-faire " administratif
en déléguant aux fonctionnaires locaux le conflit.
Aujourd’hui la situation les a débordé, tant
d’un point de vue administratif que d’un point de
vue géographique. Par exemple le préfet de la IXe
région, Oscar Eltit, se voyant dépassé par
les événements, a fait appliquer l’ancienne
loi de Pinochet de sécurité intérieure de
l’État à douze Mapuches présumés
être impliqués dans l’incendie de deux camions
de l’entreprise forestière de Pidenco. Eltit, lors
d’un discours dans un gymnase qui défendait les mégaprojets
de développement des entreprises forestières, s’est
adressé aux Mapuches dans ces termes: " La pauvreté
n’est pas dans le manque, mais plutôt dans l’impossibilité
de se rendre compte des vrais chemins que prend le développement
". Une grande partie des fonctionnaires des administrations
territoriales, des juges d’instruction, des gouverneurs
ont pris partie pour les entreprises forestières et pour
les transnationales qui agissent dans la région. Au début,
les déclarations officielles dénonçaient
l’ingérence " d’éléments extérieurs
" au sein des Mapuches – des militants d’extrême
gauche, des écologistes et des ONG internationales –
mais l’attitude exprimée par la plupart des communautés
indiennes, souvent hostiles à toute tentative de récupération
de leur mouvement, a ôté tout caractère sérieux
à cet argument.
L’opinion publique chilienne, devant ces
faits s’interroge sur l’attitude du gouvernement qui
semble laisser les acteurs en conflit résoudre tout seuls
le différend. La mission spéciale de la Fédération
internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) en
mars 1998 s’inquiète à ce sujet de cette passivité
du gouvernement central chilien qui laisse à une société
privée, en l’occurrence Endesa, le soin de négocier
avec les familles pehuenches, souvent illettrées, vivant
dans une grande précarité et ne disposant ni d’une
assistance technique ni d’une aide juridique. Le rapport
de la FIDH dit que " le gouvernement chilien se déleste
de ses responsabilités en tant qu’État-nation
" à l’égard du peuple autochtone. En effet
en ce qui concerne le projet de barrage Ralco, Endesa a choisi
délibérément de rencontrer chaque famille
séparément, pour la convaincre de l’intérêt
de son déplacement.
Ces événements posent la question
de savoir si l’État chilien est en mesure d’assumer
ses obligations à l’égard d’une population
faisant partie de la nation, et dans ce sens de respecter et de
faire respecter la légalité qu’il s’est
donnée, notamment en ce qui concerne la loi indigène
promulguée par le gouvernement démocratique de Patricio
Aylwin, qui signale que les terres indiennes sont inaliénables
et que si un habitant indigène du secteur refuse d’abandonner
sa terre, il ne pourra y être forcé. En effet ce
silence gouvernemental peut s’expliquer entre autres par
une ambiguïté existante au niveau légal. Deux
normes légales chiliennes s’opposent: d’un
côté la loi générale des services d’électricité
et de l’autre la loi indigène d’octobre 1993.
Le député de la Concertation au pouvoir, Juan Pablo
Letelier; considère de porter le conflit devant les tribunaux,
car la décision des tribunaux pourrait consacrer la prééminence
de la loi concernant l’énergie et le développement
du pays et le bien commun sur la loi indigène. C’est
ce qui s’est passé précédemment devant
la Cour d’appel de Concepción pour la construction
de la centrale de Pangue. Ces événements confirment
également qu’il est nécessaire d’introduire
des modifications de fond dans la manière actuelle de l’État
chilien de traiter les populations autochtones, c’est du
moins l’opinion d’une bonne partie de l’opinion
chilienne, toutes tendances confondues.
__________
Notes.
1. Endesa prévoit
la construction d’un barrage de 155 mètres de haut
et d’une capacité de 1 222 millions de mètres
cubes qui devrait inonder 3 395 hectares pour satisfaire 10% des
besoins du Chili à partir de l’an 2002.