Vers la reconstruction de la nation Mapuche
  Par Raul Zibechi *
International Relation Centers . Belgique, le 14 Novembre 2009.

Fatiguées, d'attendre le lent transfert des terres de l'État et la reconnaissance toujours problématique de leurs droits, des dizaines de communautés mapuches ont entamé un processus de mobilisations auquel l'État du Chili répond par une extrême dureté.

Des milliers de Mapuches sont arrivés le 22 octobre à midi devant l'Intendance Régionale à Temuco (capitale de l'Araucanía, 700 kilomètres au sud de Santiago) pour manifester contre la violence des policiers qui tirent des chevrotines contre des enfants. « Après être arrivés au centre de la ville, un groupe d'enfants mapuche des communautés d'Ercilla a ouvert un sac qui contenait les restes de plus de 200 bombes lacrymogènes, des cartouches et des douilles de balles de la police, selon le journal Azkintuwe » [1]

La manifestation, convoquée par l'Alliance Territoriale Mapuche, avait comme objet de démentir les autorités qui ont affirmé qu'il n'y avait pas de cas d'enfants blessés par l'intervention des policiers dans la zone. Le lonko (autorité Mapuche) Juan Catrillanca, a signalé que lors d'un acte violent, sept enfants de l'école ont été blessés par de la chevrotine et c'est pourquoi ils étaient en tête de cette marche, surveillée par un contingent important de policiers.

« Nous n'avons pas peur de l'État chilien et de sa violence, notre chemin avance vers la libération nationale mapuche. Nous savons que nous continuerons à résister dans nos communautés », a déclaré à la foule le werken (conseiller) de l'Alliance, Mijael Carbone.

« Nous sommes tous ici, voilà les enfants blessés, tout le monde peut les voir, voilà mon fils Pablo avec un œil en moins, voilà les mères des bébés qui ont reçu des gaz lacrymogènes il y a une semaine à Temucuicui, voilà Carlos Curinao, frappé cruellement par la police le même jour, tous sans soins médicaux suffisants. Nous sommes venus exiger pacifiquement du respect encore une fois", a déclaré Catrillanca [2]

Bien que les autorités le nient, tant l'église catholique et que des organismes internationaux ont confirmé qu'il y a eu des enfants blessés par des plombs de chevrotine. Gary Stahl, représentant de l'UNICEF au Chili a été très clair : "Pour qu'il n'y ait pas une autre génération de Chiliens marquée par la violence, nous devons savoir ce qui s'est passé et chercher une solution pour que cela ne recommence pas à l'avenir" [3]. Le 5 octobre, un enfant de 14 ans de la communauté Rofué, a fait l'objet de coup de feu, détenu, emmené dans un hélicoptère, frappé, attaché et menacé par les policiers de le jeter au sol s'il ne donnait pas les noms des personnes qui à ce moment là avaient participé à la reprise des terres de Santa Lucia [4]

Des organismes de droits de l'homme ont constaté des dizaines de cas, durant les deux dernières années, dans lesquels des mineurs ont été l'objet de coup de feu avec de la chevrotine et frappés par le corps des carabiniers, de la police militarisée chilienne. « Jusqu'à présent nous n'avons vu aucune enquête impartiale pour savoir ce qui s'est passé », a ajouté Stahl après avoir exigé du gouvernement de Michelle Bachelet, au nom de l'Unicef, de prendre des mesures pour assurer la protection des enfants Mapuches [5]. L'indignation a dépassé les barrières ethniques cette semaine, quand le Ministère de l'Intérieur a accusé les parents Mapuches d'utiliser leurs enfants comme « bouclier » dans les opérations de récupération des terres, ce qui a provoqué une vague d'indignation qui a parcouru le pays du nord au sud.

Terre et pauvreté dans l'Araucanie

La pauvreté au Chili touche 22,7 % de la population, mais au sein des indigènes elle atteint 35,6 %. Les familles indigènes reçoivent presque la moitié des revenus des familles non indigènes. La scolarisation des non indigènes est de 2,2 ans inférieure la moyenne nationale qui est de 9,5 ans et seulement 3 % de la population rurale mapuche de 15 ans a une éducation post-secondaire. Seuls 41 % des logements indigènes ont un égout et 65 % l'électricité. La mortalité infantile dans plusieurs municipalités indigènes dépasse de 50 % de la moyenne nationale [6]

L'indice de développement humain de la population Mapuche est inférieur à celui de la population non indigène (0,642 contre 0,736). Le plus bas du pays se trouve dans les zones rurales de l'Araucanie ( territoire Mapuche au sud du Bio Bio), avec 0,549, mais celui de la femme Mapuche en zone rurale est encore plus bas, avec 0,513. En plus de pauvres, ils sont discriminés, d'une manière « presque totale dans les médias, en particulier à la télévision » [7]. Les Mapuches n'ont pas de représentation au Parlement.

Cependant, l'État est confronté à une politique active en faveur des peuples indigènes et du peuple Mapuche en particulier. La Corporation Nationale de Développement Indigène (CONADI) à travers son Fonds des Terres et Eaux Indigènes, a cédé dès 1994, environ 200.000 hectares aux Mapuches dont ont bénéficié plus de 10.000 familles. Le chiffre est insuffisant puisqu'on estime qu'encore 200.000 hectares de plus seraient nécessaires. De plus, plusieurs se somment de forme individuelle et non commune, le processus est très lent, et laisse dehors beaucoup de communautés et les programmes d'appui [8] n'existent pas.

Au sein des Mapuches, des plaintes s'élèvent parce qu'aucun des programmes officiels n'est élaboré avec les communautés. Un bilan des politiques de l'Etat, a permis en 2003 à l'envoyé spécial des Nations Unies pour les Droits Indigènes, Rodolfo Stavenhagen, de conclure que « bien que des avances importantes pendant les dix dernières années se soient produites, ceux-ci continuent de vivre une situation de marginalisation et de négation qui les maintient significativement écartés du reste de pays » [9]

La situation se trouve aggravée par l'impressionnante expansion forestière que vit le sud du Chili depuis trente ans. En 1960 chaque famille Mapuche avait en moyenne 9,2 hectares bien que l'État soutenait qu'ils avaient besoin de 50 hectares pour vivre dignement. Entre 1979 et 1986, 5,3 hectares correspondaient à chaque famille, surface qui est actuellement réduite à seulement 3 hectares de terre par famille. Sous la dictature les Mapuches ont perdu 200.000 des 300.000 hectares qu'ils conservaient encore. L'avance des entreprises forestières et hydro-électriques sur leurs terres, provoquent une augmentation exponentielle de la pauvreté et de l'émigration.

Il y a actuellement deux millions d'hectares de monoculture forestière dans l'Araucanie entre les mains de trois grandes entreprises. L'ensemble des terres mapuches n'atteignent pas 500.000 hectares, où vivent environ 250.000 copropriétaires dans environ deux mille réserves qui sont des îlots dans une mer de pins et d'eucalyptus. « 70 % des organismes territoriaux mapuches sont affectés directement par l'impact sur l'environnement produit par la pénétration des entreprises forestières » qui modifient l'écosystème, puisque « les forêts artificielles sèchent leurs estuaires et puits les isolent géographiquement et contaminent le sol », selon le chercheur Juan Calbucura [10].

Les enfants au centre du conflit

Dans ce scénario, se développe une lutte constante des communautés pour récupérer les terres ancestrales qui leur ont appartenu jusqu'à il y à peine vingt ou trente ans. Cette lutte se heurte avec les grandes entreprises forestières et avec l'État chilien qui les appuie. Le résultat est une militarisation croissante des communautés les plus actives. Cette année a été marquée par une croissance importante de l'activisme mapuche.

En juillet, une centaine de délégués des communautés ont remis une lettre à la présidente Bachelet qui a été interprétée comme le commencement d'un vaste processus de récupération des terres. En août, le dirigeant Mapuche Jaime Facundo Mendoza a été tué tandis que le Groupe d'Opérations Spéciales évacuait une propriété que des dizaines de familles avaient prise dans la zone d'Ercilla. Les obsèques ont été impressionnantes : elles ont duré quatre jours et sont arrivés des milliers de « membres de communautés » de toute l'Araucanie, spécialement des communautés de l' Alliance Territoriale Mapuche, récemment créée, la nouvelle organisation regroupe entre 60 et 120 communautés.

Mais sont aussi arrivés d'autres groupes, comme le Conseil de Toutes les Terres, qui a joué un rôle important dans la décennie de 1990, et la Coordination plus radicale Arauco Malleco, créé en 1998, qui a récemment déclaré la guerre à l'État du Chili. Mais, surtout, étaient aussi présentes des dizaines d'associations culturelles, d'autorités traditionnelles, des foyers d'étudiants d'université et le Parti Nationaliste Mapuche Wallmapuwen.

Le 12 octobre ont manifesté à Santiago plusieurs dizaines de milliers de personnes convoquées par Meli Wixan Mapu, organisation mapuche urbaine, à laquelle s'est joint un vaste spectre de groupes indigènes et sociaux, dans la plus grande manifestation des dernières années dans le pays. Signe des temps et du prestige de la lutte Mapuche, était présent la Garra Blanca, les fans du Colo Colo [Club chilien de Football] agitant leurs drapeaux dans l'Alameda, à côté des drapeaux mapuches et des pancartes dénonçant le conflit et les festivités officielles du bicentenaire de l'indépendance [11]

C'est l'une des caractéristiques les plus marquantes de l'épisode actuel du conflit mapuche : la participation croissante de winkas (blancs), en solidarité devant la répression étatique qui utilise des méthodes et des lois datant de Pinochet, comme la Loi Antiterroriste. Au Chili il y a un débat pour savoir s'il convient d'appliquer cette législation à des actions violentes contre des biens (comme des camions, des plantations forestières, etc.) mais qui ne portent pas atteintes aux personnes.

Presque une demi-centaine de prisonniers mapuches peuplent les prisons, parce que l'État répond aux occupations de terres par des représailles massives contre des communautés entières. Quelques enfants ont été frappés en même temps que leurs mères le 16 de ce mois [novembre 2009], comme cela arrive chaque fois que les policiers entrent dans des communautés de la commune d'Ercilla et tirent sans discrimination. Ce jour là ils sont arrivés à l'école de Temucuicui et ont commencé à lancer des projectiles, faisant douze blessés et 30 personnes asphyxiées, la majorité des enfants [12]

Accord 169 : un pas avant ?

En septembre est entré en vigueur l'accord 169 de l'OIT qui reconnaît les droits collectifs des peuples indigènes. Le Chili a été le dernier pays de l'Amérique du Sud ,parmi ceux où vivent des indigènes, à approuver cette législation, avec 20 ans de retard. On remarque que les gouvernements de la Concertation Démocratique ont toujours été réticents à adopter une législation qui a été déjà approuvée en 1991 en Bolivie et en Colombie, bien qu'ils aient eu à cette époque des gouvernements conservateurs.

Bartolomé Clavero, juriste et historien espagnol membre du Forum Permanent des Nations Unies pour les Questions Indigènes, soutient dans un article récent que le même jour où est entré en vigueur l'Accord 169, « le gouvernement publie, sans consultation ni consentement de la part des indigènes, le Règlement qui règle la consultation et la participation des peuples indigènes. Il le fait précisément, à la vue de son contenu, pour se réserver des mécanismes de contrôle de consultations futures » [13]

Clavero assure que l'actuel rapporteur Spécial des Nations Unies, James Anaya, a maintenu un dialogue étendu avec le gouvernement en remarquant que le règlement de l'Accord 169 devait être élaboré en consultation avec les peuples indigènes. Et voilà qu'il ajoute : « la question du Règlement de l'Accord n'est pas la première preuve de la mauvaise foi dont le Gouvernement du Chili, fait impassiblement preuve dans ses relations avec les mécanismes internationaux de droits de l'homme d'autant plus quand il s'agit de l'intérêt des peuples indigènes ».

Selon lui, le gouvernement cherche « une réforme constitutionnelle pour reconnaître les peuples indigènes sans la reconnaissance de leurs droits ». C'est pourquoi il parle « de mauvaise foi », puisqu'il reconnaît quelquechose formellement pour le nier par la voie des faits. Et de conclure : « La mauvaise foi joue en effet sur deux bandes, contre les peuples indigènes et face aux institutions internationales des droits de l'homme ». Dans son rapport postérieur à sa visite au Chili, le Rapporteur Spécial James Anaya trouve « un niveau significatif de méfiance, de mécontentement et jusqu'au rejet des plans, des programmes et politiques du Gouvernement de la part des peuples indigènes » qu'il attribue aux ineptes politiques officielles [ [14]

Si tel est le langage qu'utilisent de juristes internationaux prestigieux, on peut imaginer ce que ressentent les activistes mapuches, quand ils constatent que l'on prétend reconnaître les apports des peuples originaires dans la création de la nation chilienne, mais qu'on refuse que ces peuples soient sujets de pleins droits. « La vague répressive », remarque le site Mapuexpress.net, est un rideau pour cacher ce qu'ils appelent « un coup d'État constitutionnel contre les peuples indigènes et leurs droits » [15]

Une nouvelle génération

Dans ce nouveau cycle de luttes, une nouvelle génération commence à émerger qui, comme le signale le quotidien La Segunda, « s'arme de diplômes universitaires pour défendre la cause indigène » [16]. Dans la seule ville méridionale de Temuco il y a quatre foyers autogérés avec 220 étudiants. Ils suivent de préférence des cursus d'anthropologie, droit et journalisme, pendant leurs cours ils redécouvrent l'histoire Mapuche, et notamment que la soi-disant « Pacification de l'Araucanie », faite par la République à la fin du XIXe siècle, n'a pas été autre chose qu'une guerre de l'extermination contre leur peuple.

De la main de cette génération de nouveaux sujets et concepts apparaissent : la lutte pour récupérer la terre est pour reconstruire le territoire Mapuche, soit la « Nation » ; ils défendent l'autonomie, tant vis à vis des partis politiques, qu'à l' échelle plus large de l'État chilien ; ils font le pari non seulement de maintenir la culture et l'identité vivante, mais de se reconstruire comme peuple en utilisant des outils comme le droit ancestral. C'est une génération urbaine, et bien que le mouvement continue d'avoir une forte composante rurale, les organisations citadines grandissent et se lient avec d'autres mouvements sociaux.

Ils ont construit un vaste réseau de médias numériques, radiophoniques et de presse, et avec certains mapuches à l'extérieur, et ont tissé des alliances avec des organisations de la société civile comme l'ONG l'Observatoire Citadin et plusieurs autres. Leurs demandes sont de plus en plus politiques et ils les formulent dans un langage nouveau : « Restituer la territorialité et l'autonomie des peuples indigènes du Chili, démilitarisation du territoire, retrait des multinationales, respect des droits de l'homme du peuple Mapuche" [17]

Ils montrent une authentique dévotion pour les études historiques, comme cela arrive souvent avec tous les peuples qui récupèrent leur dignité. Le lonko Juan Catrillanca, de la communauté emblématique de Temucuicui de Ercilla, et dirigeant de l'Alliance Territoriale Mapuche, a assuré que son organisation continuera d'occuper des propriétés privées pour que le gouvernement continue à leur transférer des terres. L'Alliance invoque le Traité de Tapihue, signé entre l'État chilien et le peuple Mapuche en 1825, pour respecter la frontière existante à cette époque et permettre le passage et le commerce entre les habitants du Chili et Wallmapu (Pays Mapuche).

Ils soutiennent que ce traité a été violé en 1881 quand le Chili a militairement envahi l'Araucanie. « Nous voulons récupérer six millions d'hectares. Tandis que, nous continuerons avec les récupérations et nous nous défendrons seulement avec nos wiños (canne en bois) et boleadoras », a dit Catrillanca en août, pendant la présentation de l'Alliance [18]. Comme le signale l'historien Víctor Toledo Llancaqueo, on passe des « terres en conflit » à des « territoires en conflit ». [19]

* Raúl Zibechi est analyste international de l'hebdomadaire Brecha de Montevideo, enseignant et chercheur sur les mouvements sociaux à la Multiversidad Franciscana de l'Amérique Latine, et conseiller de plusieurs groupes sociaux.

Traduction de l'espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.

Notes :

[1] Azkintuwe, le 22 octobre 2009.

[2] Idem.

[3] Journal La Nacion, Santiago, le 26 octobre 2009.

[4] Observatorio Ciudadano, " Faits de violence imputables à des policiers du Chili qui ont affecté des enfants mapuche dans la région de l'Araucanía (2007-2009)", Temuco, un octobre 2009.

[5] Journal La Nacion, 26 octobre.

[6] Jorge Calbucura et Fabien Le Bonniec, "Territoire et territorialité dans un contexte post-colonial", Ñuke Mapuföralget Working Papers No. 30, le Chili, 2009.

[7] Idem.

[8] Idem. , p. 20.

[9] Cité par Jorge Calbucura, p.23.

[10] Idem, p. 117.

[11] le quotidien La Nation, le 13 octobre 2009.

[12] Observatoire Ciudadano, ob. cit.

Cette action a valu au gouvernement une condamnation de la Fédération Internationale des Droits de l'homme, qui s'ajoute aux recommandations du Comité Contre la Torture des Nations Unies, émises en mai dernier, pour que les forces de sécurité cessent leur mauvais traitement du peuple Mapuche [[Mapuexpress, le 24 octobre 2009.

[13] Bartolomé Clavero, ob. cit.

[14] James Anaya, ob. cit.

[15] Mapuexpresss, le 3 novembre 2009.

[16] La Seconde, le 1 septembre 2009 dans www.lasegunda.com

[17] Convergencia de las Culturas, Santiago, le 23 octobre 2009.

[18] Azkintuwe, le 15 août 2009.

[19] Víctor Toledo Llancaqueo, ob. cit. p. 103. La terre est un espace physique pour produire. Le territoire est un espace intégral (physique, culturel, religieux, symbolique). Toledo le définit comme "une continuité spatiale, un territoire avec ses eaux, ses espèces et ses sols cultivables, comme aussi son droit de partager les décisions qui touchent ce territoire. Un territoire imaginé qui se superpose à l'espace réel des plantations et à l'espace dessiné des limites administratives, et qui constitue l'identité à reconstruire"