LETTRE OUVERTE A MONSIEUR JACK LANG. Monsieur, La Constitution antidémocratique établie durant la dictature est toujours celle qui régit la république chilienne, tout comme les lois anti-terroristes décrétées à la même époque qui maintiennent aujourd'hui 35 prisonniers politiques chiliens en prison. Ceux-ci ont été victimes d'une persécution politique, en période post-dictature, orchestrée par Monsieur Marcelo Schilling, actuel ambassadeur du Chili à Paris. Après avoir eu dans le passé un ambassadeur du Chili aussi prestigieux que Pablo Neruda, il est affligeant que la France ait accepté d'accueillir à la même responsabilité un homme qui s'est illustré, à la tête du bureau de renseignement, la Oficina, pour avoir mené une véritable "chasse aux sorcières" contre ceux qui avaient lutté contre la dictature, se soldant par de nombreux emprisonnements et la mort de 40 personnes*. Nous voulons cependant insister sur une autre injustice que vous ne pouvez pas ignorer puisque vous avez été signataire, l'année dernière, d'une campagne réunissant les signatures d'une centaine de personnalités du monde politique, intellectuel et culturel, adressée au Président de la République chilienne et demandant notamment la fin de la persécution judiciaire des dirigeants et des membres des communautés Mapuche - peuple originaire revendiquant leurs terres ancestrales dans le sud du Chili et de l'Argentine - et la libération de tous les prisonniers politiques Mapuches condamnés et mis en examen par des lois anti-terroristes datant de la dictature**… Malheureusement, depuis que vous avez signé cette campagne - à laquelle le Président de la République Ricardo Lagos n'a pas daigné répondre - la situation dans le sud du Chili ne s'est pas améliorée : 4 dirigeants et chefs traditionnels sont emprisonnés, condamnés à 5 ans de prison ferme lors de procès "anti-terroristes" iniques ; une trentaine de personnes, aujourd'hui en liberté surveillée ou dans la clandestinité, sont passibles de peines allant de 3 ans à 15 ans de prison, accusées d'un incendie "terroriste" et/ou d'association illicite terroriste dans des prochains procès ; les violences perpétrées par les forces policières ainsi que par des milices privées continuent en toute impunité au sein des communautés ; malgré les preuves à sa charge, le carabinier qui a assassiné sans aucune raison le jeune Alex Lemún au mois de novembre 2002 vient d'être acquitté par la justice militaire dans une indifférence générale du gouvernement. Enfin, sachez que la Fondation Pablo Neruda administrant le patrimoine intellectuel et, en partie matériel, du poète né il y a 100 ans et dont les bénéfices sont censés être reversés dans des actions destinées à diffuser son œuvre et à récompenser ceux qui y contribuent, est ni plus ni moins présidée par un obscur personnage, Juan Augustin Figueroa. Ce dernier s'est illustré ces dernières années pour s'être livré à une persécution juridique, aux arguments clairement racistes, envers deux chefs traditionnels Mapuche, les lonkos Aniceto Norin et Pascual Pichun, aujourd'hui injustement condamnés à 5 ans de prison pour "menaces d'incendie terroriste". En effet, Juan Augustin Figueroa possède, en plein cœur du territoire ancestral Mapuche, une propriété forestière de 600 hectares revendiquée par les communautés voisines, et dont la maison patronale fut incendiée en décembre 2001. Ex ministre de l'agriculture (1990-1995), nommé par le Président Ricardo Lagos au Tribunal Constitutionnel, Juan Agustin Figueroa a fait usage de toute son influence pour faire condamner ceux qui - dixit - "devaient payer pour les pêchés de leurs communautés"***, c'est-à-dire pour avoir revendiqué les terres sur lesquelles avait eu lieu le supposé délit "terroriste"… N'ayant aucune preuve à l'encontre des deux lonkos, le tribunal de Angol les a d'abord innocentés, avant de les condamner, à l'occasion d'un second jugement, à 5 ans de prison ferme pour le délit de "menaces terroristes", se basant sur des critères clairement discriminatoires et arbitraires. Cette condamnation et l'ingérence de Juan Agustin Figueroa ont été dénoncées par un grand nombre de personnalités et organisations au Chili, ainsi que par la presse****. Le fait, qu'aujourd'hui, Juan Agustin Figueroa doive expliquer devant les tribunaux son ingérence, en tant que "messager de Ricardo Lagos", dans une affaire de corruption politico-financière, est révélateur de la moralité de celui qui s'est donné pour mission de "recycler"***** les paysans Mapuche et d'emprisonner les plus tenaces. Monsieur Lang, Pablo Neruda n'a rien à voir avec ceux qui ont décidé, aujourd'hui, d'utiliser et salir son nom bafouant les droits et la dignité d'un peuple auquel le poète avait à plusieurs reprises rendu hommage en s'identifiant aux multiples injustices endurées, à travers l'histoire, par les "descendants de Lautaro". Nous espérons, à travers cette lettre, vous fournir assez d'éléments pour vous permettre de mieux comprendre la situation actuelle de violation des Droits de l'Homme au Chili, et ainsi la partager avec les membres de Parti Socialiste français mais également chilien. Car s'il est un hommage que vous pouvez rendre à Pablo Neruda, c'est bien en poursuivant ses idéaux d'humanisme et de tolérance et en vous engageant dans cette lutte politique pour un Chili plus juste et sans prisonniers politiques. Paris le 9 juillet 2004, Coordination
d'Information et de Soutien au Peuple Mapuche et aux Prisonniers Politiques
au Chili (Cismapu)
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