La législation chilienne sur les communautés indigènes
Olga Barry
La loi nº 19 253 fut promulguée par le parlement chilien le 5 octobre 1993, après un long débat de deux ans sous le gouvernement démocratique de Patricio Aylwin. Elle remplace le décret-loi nº 2 568 de mars 1979 du gouvernement militaire du général Pinochet. Ce texte comporte quatre-vingts articles et une section consacrée aux Dispositions transitoires, parmi lesquelles se trouve la création de la Corporation nationale de développement indigène (Conadi). Ce texte de loi ne reconnaît pas constitutionnellement la notion de peuple indien. Par ailleurs, le Chili n’a pas ratifié la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui affirme que les droits des peuples autochtones à leur territoire traditionnel ne doit pas être affecté sous prétexte d’application du principe de souveraineté nationale et des intérêts économiques. Cela signifie que les communautés indiennes ne sont reconnues juridiquement qu’en tant que groupes organisés, mais non pas en tant que peuples ancestraux ayant une histoire millénaire. De la même façon, la loi ne reconnaît pas des autorités indigènes – les juges indigènes de paix – une des plus importantes revendications indigènes. Ces juges indigènes devaient résoudre les conflits internes et être les intermédiaires auprès des autorités chiliennes pour les demandes communautaires.
Avant la promulgation de cette loi, en 1990, avait été créée la Commission spéciale des peuples indigènes (CEPI) à laquelle ont participé les indigènes. Cette commission a présenté au gouvernement une nouvelle proposition de législation indienne. Lors de ces débats, on a parlé de " territoires de développement indigènes " définis comme des espaces fondamentaux pour leur existence en tant que peuples indigènes et dans lesquels les communautés devraient avoir le droit d’approuver ou de rejeter des projets de développement proposés par les autorités chiliennes et devraient aussi pouvoir profiter des bénéfices de l’exploitation de leur ressources naturelles.
La loi nº 19 253 indigène de l’État chilien s’inspire d’un concept de " discrimination positive ". Son article I, alinéa 3 dit ainsi : " La société en général, et l’État en particulier ont pour devoir, à travers leurs institutions, de respecter, de protéger et de promouvoir le développement des Indigènes, de leur culture, de leurs familles et des leurs communautés, en adoptant les mesures adéquates. Il est aussi de leur devoir de protéger les terres indigènes, de veiller à leur exploitation adéquate, pour leur équilibre écologique et de favoriser leur extension ". Les articles 12 et 13 stipulent que les terres qui ont été occupées historiquement par les personnes ou communautés indiennes – mapuches, aymaras, rapa nui, atacameñas, quechuas, collas, kawashkar et yamana – et qui ont été inscrites au Registre des terres indigènes, ne peuvent être aliénées, ni grevées, sauf entre les membres d’une même communauté ou entre les Indigènes d’une même ethnie et sous l’autorisation préalable de la Corporation nationale de développement indigène. Les terrains dont les titulaires sont des communautés ne peuvent être mis en location ni cédés à des tiers. Ainsi, rentrent dans ce cadre les propriétés dont les titres ont été certifiés par le ministère de la Justice ou les terres que les communautés ont reçues à titre gracieux de l’État chilien.
La Conadi possède un registre public des terres indigènes où doivent s’inscrire toutes les terres qui rentrent dans le cadre de la loi indigène. Cette législation insiste sur le caractère héréditaire de ces terres. L’article 17 de la loi indigène stipule que tout terrain ainsi obtenu est indivisible. Les articles 20 et 22 autorisent la création d’un fonds pour la défense des terres et des eaux indigènes. Ce fonds, entre autres, doit être destiné à financer les mécanismes qui permettent de résoudre les conflits pour la propriété de la terre. L’article 26 précise qu’il appartient au ministère de la Planification et de la Coopération de définir des aires de développement indigène, c’est-à-dire les espaces sur lesquels les organismes d’État effectueront une action en faveur du développement harmonieux des Indigènes et de leurs communautés. L’article 34 vise à promouvoir la participation indigène dans les régions et les villes où il existe une forte densité de population indigène à travers leurs propres organisations ou au sein d’instances intermédiaires. Cette loi, avec des avancées évidentes par rapport à la loi indigène de la dictature, continue pourtant d’être une nouvelle loi " protectionniste " qui considère les Indigènes comme incapables de résoudre leurs propres problèmes, l’État chilien optant toujours pour une politique d’intégration et d’assimilation culturelle.
Éd. originale : Barry, Olga 1999. – " La législation chilienne sur les communautés indigènes ". - In : " La question mapuche ", Espaces Latinos, nº 164, Lyon, avril 1999, p. 21.