Autochtones. Fin d'une initiative onusienne de dix ans pour attirer l'attention sur ces peuples.
Populations en quête de droits

Par Eliane PATRIARCA - Vendredi 23 juillet 2004 (Liberation - 06:00)

Genève envoyée spéciale

La haute commissaire aux droits de l'homme, Louise Arbor, dansant au coeur de la grande ronde de célébration en l'honneur de Leonard Peltier, Indien lakota anishinabe, détenu depuis vingt-neuf ans dans une prison américaine et reconnu prisonnier politique par Amnesty international. Hier à Genève, dans le parc des Nations unies en marge de l'ouverture de la Journée internationale des peuples autochtones, c'était une vision surprenante. Mais représentative d'une volonté de l'ONU de faire progresser la prise de conscience internationale face aux discriminations dont souffrent des peuples spoliés de leur terre, dépossédés de leur culture, profondément niés.

Chaque année en juillet, se réunit à Genève, le groupe de travail ONU des peuples autochtones. Cette instance, créée en 1982, est une sorte de parlement international des peuples autochtones, dont l'objectif est de parvenir à établir des normes internationales pour protéger ou restaurer leurs droits. Les réunions du groupe, ouvertes à tout représentant d'une communauté autochtone, attirent plus de participants que toute autre réunion onusienne dédiée aux droits de l'homme.

Rassemblés par un destin similaire, une cause commune (lire ci-dessous), quelque mille délégués du monde entier se sont donc réunis cette semaine pour une session un peu particulière, puisque cette année marque la fin de la décennie des peuples autochtones lancée par l'ONU en 1995. Une initiative qui «a permis d'attirer l'attention de nombreux gouvernements sur notre lutte, de provoquer une prise de conscience. Mais la grande déception, c'est que le projet de Déclaration des droits des peuples autochtones n'a pas avancé», témoigne Kenneth Deer, un Mohawk du Canada. Seuls deux des 45 articles de ce texte élaboré en 1994 ont été adoptés en dix ans ! La plupart des Etats continuent de s'opposer aux revendications essentielles des autochtones : le droit à l'autodétermination, le droit à la terre et aux ressources naturelles qu'elle contient et les droits collectifs (langue, spiritualité, culture...) «Cela fait dix ans que je viens chercher ici ce que les autres peuples ont, résume Armand McKenzie, Innu du Québec et avocat. Mais les Etats font tout pour gagner du temps, ce qui permet aux multinationales de continuer à exploiter les ressources naturelles de nos terres.»

Réunis par un sentiment de discrimination
L'ONU accepte tous les peuples se disant autochtones, d'où des revendications diverses.
Par Eliane PATRIARCA

«Un autochtone, c'est un être humain qui erre dans les couloirs du palais des Nations à Genève depuis les années 20 à la recherche de droits dont il ne voit jamais la couleur.» Caustique, la définition d'Armand McKenzie, Innu (Québec), esquive sans mentir pourtant, une question cruciale et complexe. Comment définit-on un peuple autochtone ? Quels points communs entre Pygmées du Cameroun, Lakotas du Dakota, Mohawks du Canada, Maoris de Nouvelle-Zélande, Berbères du Maroc, Aïnu du Japon... ?

«Un peuple autochtone, c'est un peuple qu'on a rendu dépendant, mais qui doit sans arrêt se justifier de réclamer les mêmes droits que les autres habitants du pays ! Nous Innus, voulons que nos enfants connaissent la langue de nos parents, qu'ils soient en bonne santé, qu'ils aient une éducation décente, qu'ils ne soient pas normalisés, "assimilés", nous voulons qu'ils retrouvent leurs droits territoriaux dont le Canada nous a spoliés en 1977.»
Armand McKenzie
Innu du Québec, négociateur pour les droits territoriaux

«L'ONU n'a pas de définition officielle, elle accepte l'autodéfinition. Bien sûr, nous avons quelques critères définis par des experts : un peuple qui a une identité particulière, une langue, une spiritualité qu'il veut maintenir et développer ; un peuple qui montre un attachement particulier, ancestral à la terre ; un peuple qui souffre de discrimination dans la société.»
Julian Burger
Coordinateur peuples autochtones pour le Haut Commissariat aux droits de l'homme

«Le rapport Martinez-Cobo publié en 1980 fixe trois critères : un peuple qui existait sur un territoire avant qu'un autre vienne l'envahir, le dominer et le reléguer aux oubliettes de l'histoire, niant son existence, ses droits, sa culture ; un peuple dominé politiquement, sans voix au chapitre ; enfin, un peuple qui a gardé des traits importants de sa culture et tient à les transmettre aux générations suivantes.»
Pierrette Birraux-Ziegler
Géographe, directrice du Centre de documentation des peuples autochtones

«En Afrique, il y a des gouvernements qui refusent de reconnaître l'existence de peuples autochtones. Notre objectif, c'est de lutter contre toutes les discriminations dont souffrent ces peuples dont la langue ou la culture ou la religion est niée. C'est une lutte pour la démocratie.»
Hassan Idbalkassm
Président de l'association Berbères du Maroc

«Le terme autochtone ou indigenous en anglais, c'est un mot créé par des colons, c'est un mot qui exclut. Alors au groupe de travail depuis 1982, nous avons décidé d'accepter tous les peuples qui se déclarent peuples autochtones et se reconnaissent, face à un Etat, dans ces situations de discrimination.»
Miguel Alfonso Martinez
Cubain, président-rapporteur du groupe de travail ONU sur les peuples autochtones