Interview
avec Fabio Flores, Collecif SubTerra en Belgique.
"Il
est vital de diffuser votre lutte en Europe " |
Fabio
Flores Castillo est un survivant. Poursuivi par le sinistre Comando
Conjunto (“Commandement Conjoint”), son frère détenu
et disparu, il dut partir en exil en 1987. la Belgique, petit
pays du vieux continent, l’acceuillit comme réfugié politique
et lui offrit l’opportunité de commencer une nouvelle vie, après
celle marquée par le feu et le sang de la répression de Pinochet.
Il
est l’un des fondateurs – principalement chiliens - de SubTerra,
centre culturel latinoaméricain, qui a vu le jour il y a 3 ans
et dont le nom rappelle l’oeuvre monumentale de Baldomero Lillo
sur les hommes du charbon.
De
Pedro CAYUQUEO / Kolectivo Lientur / Wallmapu du Chili / 15 Novembre
2004
Depuis
sa fondation, SubTerra a pour objectif principal de faire connaître
la réalité latino-américaine à Bruxelles, en diffusant la culture
et les histoires de résistance de tous ces différents peuples
qui composent la riche géographie humaine de ce continent, au-travers
d’une vision et d’une position humanistes.
Cycles
de projections de films teintés d’engagement socio-politique et
culturel, forums, débats, composent l’agenda des activités du
centre culturel, qui vient d’organiser la visite du werken mapuche
Juan Pichún en Belgique, afin de faire connaître la réalité de
la lutte du Peuple Mapuche à la société civile belge, à des organisations
locales ainsi qu’au Parlement européen.
Nous
avons interviewé Fabio Flores sur les projections de SubTerra
en matière de solidarité internationale à la cause mapuche.
-
Quel intérêt existe en Europe, et plus particulièrement en Belgique,
sur la lutte des peuples indigènes.
-
L’intérêt existe et ne cesse de croître. De la part du peuple
européen, du peuple belge, des gens qui se préoccupent des problèmes
d’environnement, de la culture des peuples indigènes d’Amérique.
C’est un intérêt qui s’inspire de la relation de l’Homme à la
nature, de l’Homme à son environnement. Et s’y ajoute un intérêt
de nature politique, à mesure que les gens sont informés des graves
violations des droits fondamentaux dont souffrent ces peuples,
dans plusieurs Etats latino-américains. Les citoyens européens
s’intéressent de plus en plus à cette réalité qui les choquent,
à savoir comment contrinuer à la changer.
-
La Belgique s’érige désormais en véritable épicentre de la nouvelle
carte géopolitique de l’Europe. Croyez-vous que Bruxelles, comme
capitale et siège du Parlement européen, devrait devenir un lieu
de visite incontournable pour les dirigeants mapuches qui tentent
de faire valoir leurs droits à l’extérieur? Jusqu’à maintenant,
seule Genêve, siège des Nations-Unies, semblait concentrer l’intérêt.
-
Je crois en effet que Bruxelles est devenue un épicentre, un lieu
important pour les mapuche. C’est là que siègent la plupart des
institutions européennes, ce qui peut permettre de faire pression
sur le gouvernement chilien afin qu’il mette fin à ce théâtre
d’injustice. De notre côté, nous qui vivons en ville, il est urgent
que nous ouvrions de nouveaux espaces, afin que tous les délégués,
mapuches et autres, qui nous rendent visite, puissent accéder
à des réunions avec des parlementaires, avec des groupes politiques
qui s’intéressent ) la problématique des peuples indigègnes. Je
crois que c’est au Parlement européen que nos frères mapuches
devraient pouvoir s’exprimer, et pourvoir faire pression pour
le respect de leurs droits, au vu de la situation catastrophique
qu’ils traversent en tant que collectivité.
Nous
tentons de plusieurs manières de les appuyer, et nous le faisons
parce que nous nous sentons partie du Peuple Mapuche en acceuillant
à SubTerra tous ceux qui viennent à Bruxelles pour cette cause.
Nous avons acceuilli plusieurs dirigeants, comme Aukan Huilkaman,
avec nous au premier semestre, et qui a pu exprimer ses idées,
ses points de vue, en compagnie d’autres dirigeants indigènes.
L’idée est qu’indépendamment des organisations qu’ils représentent,
leurs dirigeants puissent nous rendre visite que la problématique
mapuche se fasse connaître en Europe et particulièrement à Bruxelles.
-
De même, il semble que le mouvement zapatiste et le mouvement
indigène équatorien se soient fait mieux fait entendre en Europe.
Pensez-vous que les visites d’Aukan Huilkaman et du werken Juan
Pichún aident à accroître la conscientisation des européens à
la lutte mapuche?
-
De toute évidence. Leur présence est d’importance capitale et
c’est là que nous devons agir en tant que Chiliens résidant en
Europe, c’est à dire à ouvrir des espaces, à permettre à nos frères
de venir, venir faire entendre leur cause, intervenir dans des
forums, générer de plus grands espace de solidarité. Ici, il existe
en effet une grande solidarité avec le movuement zapatiste, avec
le mouvement indigène de Bolivie, du Pérou, de l’Equateur et aux
mouvements socio-politiques de Colombie. Le mouvement mapuche
doit – et n’a pas d’autre choix que de - se faire entendre à l’extérieur,
faire connaître sa problématique, sa lutte, au niveau international.
C’est ainsi qu’il parviendra à obtenir un appui, et un appui certain,
de personnes et de groupes de personnes, comme le nôtre.
-
Pour l’instant et tel que vous l’exposez, des groupes, des collecifs
d’appui à la cause mapuche, existent déjà dans plusieurs pays
européens. Croyez-vous qu’il soit nécessaire d’accroître le niveau
de coordination entre tous ces groupes d’appui?
-
Biensûr. Et je pense que SubTerra a ouvert un chemin dans ce sens.
Nous avons déjà ouvert les pages de notre site web à la lutte
du Peuple Mapuche, qui publient notamment les informations que
nous envoient des journalistes comme vous depuis le Chili et que
nous partageons avec d’autres groupes. Il est même urgent d’accroître
le niveau de coordination entre les groupes d’appui, que ces derniers
soient mapuches ou de Chiliens vivant à Bruxelles. Il est vital
de diffuser votre lutte ici.
-
Vous coordonnez en ce moment la visite du werken Juan Pichún à
Bruxelles. Au vu des activités réalisées en sa présence, quelle
évaluation en faites-vous? Quel impact constatez-vous sur la communauté
locale?
-
Ponctuellement, la communauté chilienne et latino-américaine résidant
à Bruxelles s’est ouverte à une réalité très dure, via le weken
lui-même, porte-parole du peuple mapuche et victime directe du
système répressif au Chili. Découvrir une telle réalité en direct,
via le récit de Juan Pichún lui-même, fils du célèbre lonko de
Traiguén, a eu un impact significatif sur l’auditoire, et a accru
de fait la sensibilité à une problématique importante.
D’autre
part, sa visite a aussi accru l’intérêt des médias, non seulement
en Belgique mais ailleurs en Europe, qui ont sollicité des interviews,
l’interrogeant en détail sur la répression, la violation territoriale,
les procès... ce qui permet de diffuser la connaissance de la
lutte des Mapuches.
-
Aujourd’hui, le gouvernement chilien mène au sud du pays une politique
répressive, de persécution politique contre le mouvement social
mapuche, une politique qui rappelle de très près le temps de la
dictadure militaire. En tant que militants et citoyens qui durent
affronter cette époque noire, que ressentez-vous au vu d’une
“démocratie” au sein de laquelle une telle réalité persiste?
-
Il y a quelques temps, nous avons interrogé un ami mapuche et
lui nous a dit, “pour les Chiliens, la dictature est terminée,
mais pour le Peuple Mapuche, la dictature continue”. Et quand
on se penche sur ce qui ce passe véritablement au Chili, je crois
qu’il a raison. Pour les Mapuches, la dictature n’a pas changé,
la persécution est identique.
Des
lois créées par la dictature pour faire taire et poursuivre tous
les secteurs démocratiques opposés au régime, sont encore appliquées
au peuple mapuche.
Ce
que vivent aujourd’hui les Mapuches ressemblent de trop près à
ce que nosu avons vécu sous Pinochet. La torture, la prison politique,
l’assassinat de militants, la clandestinité forcée, etc. c’est
là qu’est notre nécessité, en tant Chiliens, torturés, poursuivis
et exilés, de venir en aide à nos frères mapuches qui souffrent
des mêmes maux aujourd’hui.
-
C’est une situation qui affecte encore beaucoup de Chiliens. Il
semblerait que nombre de nos concitoyens chiliens ne puissent
pas revenir au pays, parce qu’ils sont encore officiellement interdits
de territoire ou parce qu’ils seraient poursuivis par des tribunaux
militaires...
-
C’est la vérité. Ces jugements furent prononcés durant la dictature
et n’ont pas été revus. Cette situation, pourtant méconnue par
beaucoup, nous affecte encore aujourd’hui. Beaucoup de frères
chiliens résident clandestinement en Belgique
parce qu’ils ont n’ont pas eu accès à un jugement en bonne et
due forme au Chili. Beaucoup sont interdits de territoire,
ou qui furent condamnés à des peines de 15 à 20 ans pour avoir
combattu la dictature de Pinochet, les oubliés du gouvernem ent
chilien, le même qui se déclare aujourd’hui si préoccupé par les
Droits de l’Homme. Nombreuses sont les victimes de dictature militaire
qui souffrent à l’heure actuelle en Europe, qui voient leur pays,
de loin. Il existe une quantité de cas à dénoncer, conjointement
à la violation des droits des Mapuches, afin que la société chilienne
puisse demander justice, ou, pour le moins, le changement d’un
gouvernement qui n’est ni démocratique ni participatif.
-
Pour finir, une curiosité. Je suis récemment allé à Bruxelles
et, à une exposition d’art, j’ai rencontré le Consul du Chili
en Belgique, Eduardo Chihuailaf. C’est un homme politique, mais
ce jour-là il m’a fait part de son inquiétude pour la situation
des communautés du Sud du Chili, et de sa fierté d’être “le premier
diplomate” de sang mapuche. Le connaissez-vous? Quelle position
affiche-t-il vis-à-vis des thèmes que nous avons abordé?
-
Nous le connaissons, bien que pas de la façon que nous l’eûmes
souhaité. Le Consul du Chili en Belgique est effectivement mapuche,
mais nous avons vécu une expérience absolument horrible avec lui.
Voilà quelques mois, nous sommes allés manifester devant l’Ambassade
du Chili, en raison de la grève de la faim entamée plus de 60
jours auparavant par les prisonniers politiques au Chili, enfermés
à la Prison de Haute Sécurité. Notre acte était absolument pacifique,
nous allions simplement remettre une lettre à l’Ambassadeur. Et
nous nous sommes retrouvés devant le Consul lui-même qui, de manière
autoritaire et méprisante s’en est pris physiquement à l’un de
nos compagnons à l’intérieur de l’Ambassade.
Une attitude incompréhensible de la part de quelqu’un qui a un
passé d’exilé comme nous. Nous savons qu’il a vécu l’exil, en
France, où il a vécu et étudié ces dernières décades, que sa famille
était liée au Parti Communiste au Chili... et de surcroît il est
mapuche et se déclare fier de ses origines. C’est incompréhensible
et je me permettrai simplement d’ajouter que c’est une honte pour
la diplomatie chilienne, ainsi que pour tous les Mapuches
engagés dans la culture et l’histoire de la lutte de son peuple
pour le respect de ses droits fondamentaux.
Sub Terra / www.subterra.be