Lettre du pays Mapuche - Les news de Julie et David
par Julie Baudin - http://www.tribuducoin.com - Avril 2007


V“ALLI termina todo
y no termina:
alli comienza todo”
(Extrait de “Piedras antarticas” de Pablo Neruda)

C est la-bas que tout finit et ne finit pas : c est la-bas que tout commence…, ecrit Neruda a propos des terres du Sud, du sud de la terre. Nous y voila, et c est vrai qu elles ont tendance a vouloir mettre fin a quelque chose, ces etendues de pampa et de vent, de pierres acerees et de gris marin. Sommes-nous ici aux confins du monde, ou au contraire en son coeur ? Est-ce la fin, ou le commencement (d un voyage)… ?

Etale de tout son long entre ocean et Cordillera, le grand corps maigrichon du Chili a voulu nous faire croire que nord et sud n ont rien a voir l un avec l autre, que l un entame ce que l autre finit : un pays de 4300 kilometres de longitude. Nous y avons cru un instant, a decouvrir le desert d Atacama et sa population d Aymara-atacamenos-metis finalement plus proche de ses cousins/voisins boliviens que du commun des chiliens. Pourtant, un grand panneau fiche a 4000 metres d altitude entre deux volcans sur le point de se reveiller nous avait bien prevenus. « Vous etes au Chili ! ». Tout par la suite n a plus cesse de nous le crier : rues et routes goudronnees, villes a l americaine, prix « exorbitants » pour nous qui arrivions du pays le plus pauvre d Amerique du Sud. Nos porte-monnaie ont en effet prit un coup, nos illusions aussi : nous venions de faire un grand pas vers la societe occidentale consommatrice et avide de « progres », a laquelle il nous faudrait prochainement retourner.
San Pedro de Atacama, la vallee de la lune, les geysers du Tatio, merveilles de la nature incroyablement parfaites et originales... Cependant, nous sentions que chaleur et soleil n etaient plus a l ordre du jour et nous sommes lentement laisse happer par la gravite, pour ne pas dire par le grand Sud que nous n avons toujours pas perdu : direction Temuco, centre de la culture Mapuche du Chili.

Tres longtemps resistants a l ordre blanc, les Mapuche etaient craints et respectes par les Espagnols. Quelques incursions infructueuses des troupes etrangeres sur les terres a civiliser avaient refroidi les Europeens qui avaient fini par reconnaître la souverainete des « Araucanos » (nom alors donne aux Mapuche) sur leur territoire, pourtant deja empute d une bonne partie entre Santiago et Temuco.
La tranquilite relative dont beneficiaient les Mapuche fut cependant balayee par les armees de la jeune republique chilienne, decidees a soumettre les barbares Auracunos qui plierent en 1884 devant le renfort d hommes, d armes et de motivation nationaliste. La fameuse veracite du peuple Mapuche etait ecrasee mais pas annihilee. Il n y a qu a se frotter un peu a lui pour s en rendre compte.

Notre premiere incursion en territoire indigene a eu lieu a l occasion de la liberation du prisonnier politique Pascual Pichun, longko (autorite) de sa communaute situee a quelques kilometres de Traiguen, au nord de Temuco. Cet evenement, que beaucoup attendaient depuis l incarceration abusive du longko cinq ans auparavant, representait egalement pour nous un symbole : celui des cultures indigenes d Amerique opprimees et incomprises qui, pour se debattre dans une societe qui les ignore et spolie leurs droits, engagent des actions legitimes mais pas toujours legales…
Pascual Pichun a ete accuse de representer une « menace terroriste » alors qu il faisait des demarches pour recuperer des terres volees par Pinochet trente ans auparavant et revendues a une grande entreprise de coupe de bois. Il a ete juge sous la loi antiterroriste mise en place par le dictateur et toujours en vigueur au Chili, puis declare coupable grace a l intervention de temoins a visage couvert qui n ont jamais ete identifies par la defense. Pascual a ete une victime de plus de la loi du plus fort : celle de l entreprise qui, au Chili comme ailleurs, est reine.
Depuis plusieurs annees deja, nous entendions parler des prisonniers politiques Mapuche, dont quatre se trouvent encore aujourd hui incarceres a la prison d Angol. Nous avions signe plusieurs petitions pour exiger leur liberation aupres de « la Bachelet », presidente du Chili depuis 2005. Aujourd hui presents sur les lieux, au contact de ceux qui vivent le Chili chaque jour, nous nous sommes rendus a l evidence : il reste encore beaucoup a faire et a comprendre pour que les peuples indigenes soient enfin respectes et consideres comme des etres humains detenteurs de droits et de besoins, et non pas seulement comme des mascottes touristiques.

Les Mapuche ont compris que, s ils veulent jouer un role concret dans leur pays, il ne suffit pas d attendre que les mentalites changent a leur egard. A Temuco se creer actuellement le premier parti politique Mapuche, Wallmapuwen. Pedro Mariman et Gustavo Quilaqueo, qui nous ont recus en leur fief, ont les idees claires : il y a tres peu d acteurs politiques Mapuche dans les 8e, 9e et 10e region (Bio Bio, Araucania et region des lacs), ou vit la majorite des Mapuche puisque s y trouvent ses terres ancestrales. La raison est simple : apres l annexion du pays Mapuche, les differents gouvernements de la Republique ont joue d une strategie tres vicieuse pour venir a bout, a petit feu, de la culture indigene qui faisait la force du peuple : ils ont encourage l installation massive de colons sur les terres indigenes en offrant a chaque etranger ou chilien une parcelle de terre de 50 a 500 hectares selon les origines. En revanche, les Mapuche se sont vus gratifies de 6 hectares par personne consideres comme « reserves » indigenes reparties en divers endroits et separees par des terres desormais proprietes de colons. Non seulement le peuple Mapuche a ete ainsi metisse, mais aussi petit a petit chasse de son propre territoire : les 500.000 hectares ainsi distribues aux « Indiens » par le gouvernement au 19e siecle n ont pas connu d amplification malgre la croissance de la population indigene. Les Mapuche, qui representent aujourd hui le plus grand groupe ethnique du Chili, se sont retrouves a l etroit, contraints d emigrer en ville faute de terres a travailler pour survivre. La plupart sont alles a Temuco, beaucoup d autres a Santiago du Chili. Aujourd hui, ceux qui se revendiquent indigenes ne representent que 30% de la population totale de la 9e region, et 50% de la population Mapuche est urbaine.

Les 8e et 9e region, contrairement a leurs cousines du nord, se voient gratifiees de pluie. La bas commencent les grandes forets, les pics enneiges au sommet de la Cordillera que l on distingue, les jours de beau temps, depuis la cote pacifique. Pour les colons, ces terres riches furent une aubaine : en les deboisant, on obtient du bois pour le chauffage et la construction, des paturages pour le betail et des hectares a cultiver. Avec le temps, on a compris que l industrie du bois etait synonyme de progres et de developpement : le monde entier a besoin de bois ! On a selectionne les especes qui croissent le plus rapidement (les coniferes importes, par exemple), et on les a implantes sur les terres jadis occupees par les Mapuche et/ou par des especes vegetales natives aujourd hui severement menacees. Lorsqu on emprunte la Panamericaine entre Santiago et Temuco (a 700 kilometres de distance), on peut voir les immenses et jeunes forets en sursis plantees par les entreprises, qui detruisent les sols par leur acidite et leurs besoins. Bien entendu, les Mapuche, occupants ancestraux de ces terres, ne voient pas un centime des millions de dollars que genere l industrie du bois.
On demande tres rarement leur avis aux Mapuche, et pour cause : on connait leur caractere fort qu ils n ont pas tout a fait perdu avec les annees de domination et de metissage. Certains Mapuche decident donc de se battre en engageant un processus de recuperation de terres, comme c est le cas de Pacual Pichun, de ses fils et d autres encore. Ou, comme les membres de Wallmapuwen, ils s organisent politiquement pour avoir enfin un poids dans la societe chilienne d aujourd hui, pour etre enfin consultes. Les Mapuche en ont assez de voir leur image utilisee a des fins touristiques, sans qu aucun effort ne soit reellement fait pour les integrer a la vie du pays.

Apres ce premier tour d horizon de la situation, nous avons decide de nous immerger un peu plus profondement en Wallmapu, en pays Mapuche. En arrivant a Lonquimay au debut du mois de mars, nous ne nous imaginions pas que se preparait le moment le plus important de l annee pour les Mapuche Pehuenche, les hommes du pehuen. Le pehuen, en langue autochtone, ou Araucaria araucana de son nom scientifique, est l arbre-Mere qui donne aux Pehuenche ses fruits, et donc la vie. Chaque annee, la population rurale, qui vit dans des maisons aux criteres assez semblables a ceux du « Chilean way of life », quitte les villages et les communautes situees dans les vallees et monte aux « ranchos » ou « veranadas » (lieu de vie d ete situes dans la Cordillera, c est-a-dire sur les contreforts de la Cordillere des Andes) ou elle passera plusieurs semaines a recolter les pignons du pehuen.
Don Pedro Domihual et son epouse Otilia, qui s appretaient a rejoindre les hauteurs, ont accepte de nous recevoir. Nous qui avions deja fait l experience du ramassage de pignons aupres des Navajos d Arizona en 2005 etions curieux et tres tentes par cette nouvelle experience. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque, le soir de notre arrivee chez eux, nous avons decouvert le fameux pignon, beaucoup plus gros que celui produit par les coniferes d Arizona et qui n a ni la meme forme ni la meme couleur ! Et contrairement aux pignons nord-americain qui ne naissent que tous les cinq a sept ans, ceux d Auraucanie murissent tous les ans.

Quelques jours plus tard, nous accompagnions Don Pedro et sa femme a leur veranada et nous mettions au travail. Pour survivre, le couple devait recolter 30 sacs de 65 kilos environ pendant le mois qui viendrait. Il en garderait dix pour sa consommation et vendrait le reste pour acheter sel, sucre, farine, ble, riz et herbe a mate pour l annee a venir (Les Pehuenche etant des collecteurs, tres peu d entre eux sont agriculteurs : ils leur faut donc s approvisionner en grain s ils desirent varier leur regime alimentaire). Avec un peu de chance, il pourrait trouver un acheteur « honnete » qui lui offrirait 300 pesos par kilo, soit moins de 50 centimes d euros, pour les revendre entre 700 et 1000 kilos sur le marche chilien.
La veranada de Don Pedro est constituee, en tout et pour tout, de deux cabanes (toldo) en bois de pehuen mort, puisqu il est interdit, dans la culture Pehuenche, d abattre un Araucaria. Dans l une d elle dort le couple, tandis que l autre sert de reserve pour les pignons fraichement ramasses. De notre cote, nous avons installe notre tente dans la clairiere la plus proche, en veillant bien a ne pas nous trouver sous un pehuen femelle qui aurait risque de chatouiller un peu violemment la toile de notre maison : chaque jour, les « tetes » des arbres lachaient des milliers de pignons en s ouvrant, qui venaient s ecraser sur le sol des bois.
N ayant pratiquement que ce que la nature nous donnait pour survivre, nous avons vecu au rythme des pehuen. Avec le bois mort de l arbre, nous avons alimente le feu qui nous a permis de cuisiner les pignons, de faire chauffer l eau pour le mate (la tradition du mate est aussi forte de ce cote du Chili qu elle l est en Argentine) et de nous rechauffer. Apres avoir passe la journee a ramasser des pignons, nous les retrouvions dans nos assiettes chauds et fermes, sous leur cosse rouge. Radieux, le soleil nous a encourages en rechauffant nos reins douloureux et en faisant s ouvrir quotidiennement des tetes d Araucaria. Don Pedro nous a avoue n avoir jamais connu une saison si abondante, ajoutant que la prochaine serait surement tres mauvaise, comme c est en general le cas.
Quitter la region de Lonquimay et sa Cordillera enneigee n a pas ete facile. Don Pedro et sa femme etaient attachants et il semblait qu ils etaient deja ages pour un tel travail. Un coup de main prolonge de notre part ne leur aurait pas fait de mal ! Nous avons du cependant nous rendre a l evidence : l automne etait bel et bien aux portes du temps malgre les airs d ete languissant qu il se donnait. Nous savions par ailleurs que la Patagonie ne nous attendrait pas pour se laisser prendre par les vents et la froideur.
Comme a l accoutumee, nous avons donc pris conge de nos nouveaux amis pour nous laisser glisser toujours plus au sud, jusqu a l ile de Chiloe, dernier bastion Mapuche sur notre trajet vers les terres australes.

Chiloe, deuxieme ile d Amerique du Sud par sa taille, etait jadis le territoire des Chono, peuple originairement nomade qui n existe plus en tant que tel car totalement metisse, et des Mapuche Williche. L ile avait une condition tres particuliere sous l occupation espagnole, puisque les colons qui s y etaient etablis, plutot que d imposer leur culture, avaient adopte celle des Williche, tout en conservant quelques unes de leurs coutumes. Cette symbiose donna naissance a la culture Chilote.
Avec l invasion des troupes chiliennes, les Williche perdirent les droits qu ils avaient conserves sous l occupation espagnole. Aujourd hui confrontes a des problemes d usage d un territoire qui etait autrefois le leur, ils realisent que territoire n est pas uniquement synonyme de terre, mais aussi de sante, de bien etre, de vie.
Manuel Munoz, anthropologue Williche, a participe a la creation du centre de sante Mapu Nuke (Terre Mere) qui a pour but de developper l usage des plantes natives de l ile et de la medecine traditionnelle indigene pour venir a bout de la maladie, commune chez les Williche. Cette initiative a ete developpee a la suite d un litige qui a oppose les Williche a des chercheurs japonais qui, dans les annees 1980, ont profite de la naivete des indigenes pour venir faire des prelevement de genes sur des personnes Williche avec l aval du Ministere de la Sante chilienne. Les Japonais suspectaient en effet les Williche d etre immunises contre un certain type de cancer. De retour au Japon, les chercheurs ont brevete les genes Williche afin de les utiliser pour leurs recherches et l elaboration de traitements. Les Williche de Chiloe n ont appris que tres tard la supercherie. « Non seulement on nous volait nos terres, on ecrasait notre culture, mais en plus, on etait assez vicieux pour nous derober nos propres genes ! » s est exclame Manuel en nous racontant cette etrange histoire. En creant Mapu Nuke, Manuel et ses amis decidaient de prendre en main leur sante et leur connaissance des plantes natives de l ile tout en protegeant ces dernieres du bio piratage.

Pendant pres de deux semaines, les Chilotes nous ont ouvert la porte de leur univers. Nous avons decouvert les immenses forets primaires constituees de Tepu, de Canelo, de Coihue, d Ulmo... Les feuilles du Tepa (Laurelia phillipiana), sacrees pour les Williche, se machent, un peu comme les feuilles de coca. Elles ont le pouvoir de soigner et de purifier.
Neddiel, chanteuse Williche, a entonne pour nous plusieurs airs du Gulkantun, chant ceremoniel Williche, avec son kultrun, le tambour propre aux Machi (shaman), dont l usage lui a ete autorise par les maitresses de paix de Chiloe.
Dans le bateau qui nous a extirpes de l ile et du monde Mapuche par la meme occasion, nous avons realise que s achevait ainsi, par un jour bleu et brillant, notre decouverte du monde indigene americain. Il nous restait encore la Patagonie, ce qui n est pas rien. Pourtant, aussi grande et somptueuse que soit cette partie du globe, meme aux pires jours d un automne rageur, un trou beant (autre que celui de la couche d ozone !) marque ces espaces sauvages australs : l absence incroyablement presente de ceux qui vivaient sur ces terres avant que tout finissent. Les peuples patagons et feguinos (de Terre de Teu) dont certains ont disparu tandis que d autres agonisent encore.

Descendre en Terre de Feu n est pas une mince affaire si l on souhaite s ecarter des sentiers battus. Tandis que beaucoup choisissent de suivre l une des quelques routes qui passent par l Argentine, se frottant ainsi aux lieux les plus touristiques du pays, et que d autres prennent tout simplement le bateau qui longe toute la cote patagonne pacifique, nous avons, encore une fois, choisi la solution la plus compliquee, sachant que plus le chemin est difficile, plus les heures sont intenses.
Arriver a Chaiten en fin de saison touristique nous a immediatement mis dans le bain. Pas de bus avant quelques jours. De la pluie. Des arbres. Un leger tremblement de terre. Presque le silence. Ainsi, nous qui avions renonce a l autostop depuis l hemisphere oppose, avons du remettre cela. A notre plus grand plaisir !
En autostop, les trois premieres heures sont les plus penibles. Une fois la limite atteinte, attendre devient comme le reste… : partie de la vie. Pourtant, ce lundi-la, qui s annoncait tres peu adequat pour voyager en pouce (peu de voitures sur la piste, bruine bretonne, fatigue) s est avere fructueux. Nous arrivions en effet le soir-meme 450 km plus au sud grace a un camionneur qui transportait des fruits de mer pour les tablees du Vendredi Saint. Nous avions en effet omis le fait que nous entrions dans la semaine sainte, ce qui representait objectivement une aubaine en cette saison : nous verrions probablement passer plus de vehicules. Nous n avions cependant pas penser que les fetes attireraient tant de monde a Aysen, le soir de notre arrivee vers minuit : tout ceux qui ont daigne ouvrir la porte de leur auberge n ont eu qu un mot a la bouche. « Lleno ! ». Complet. Tres peu patiente en ce qui concerne mon sommeil, j ai fini par debouler a la gendarmernie pour exiger un metre carre de gazon ou planter notre tente, chose qui m a finalement ete concedee, non sans mal !
Ainsi s achevait le premier jour d une epopee qui durerait une semaine.Notre chemin, apparemment beni des dieux, nous a conduits a Tortel, petit village blotti dans le creux d un fiord, puis a Villa O Higgins, la ou s arrete la fameuse route australe et toutes les autres routes avec elle. Pour ceux qui veulent aller plus loin, il faut avoir le pied marin ou opter pour l Argentine (finalement incontournable !) ce qui, pour un Chilien, est une chose difficile a concevoir (les deux nationalites n ont jamais reussi a s entendre !).
Pour nous Français, l experience n etait en rien effrayante. Nous avons donc pris le bateau bimensuel qui traverse la lac O Higgins, obtenu notre tampon de sortie du territoire chilien une fois de l autre cote, puis avons marche 25 km jusqu aux douanes argentines, obtenu notre tampon d entree en territoire argentin avant d en reprendre pour 15 km jusqu a la prochaine route. Apres deux jours avec l impression d etre seuls au monde, entre deux pays, face aux plus grandes œuvres de la nature, Mont Chalten ou Fitz Roy (selon le cote de la frontiere duquel on se trouve) completement degage, glaciers baveux, vegetation endemique rougissante sous la caresse de l automne, le retour a la civilisation a ete…secouant.

Adieu solitude fraiche et coloree ! Bonjour civilisation ! Bonjour touristes barioles et fagotes des derniers apparats du «fashion trekkeur». A El Chalten et Calafate, il n y a pas une maison qui ne soit hotel, auberge, bed and breakfast, que sais-je ? Tout est a vendre, tout est a acheter, meme le sublime Perito Moreno, troisieme glacier du monde par sa taille, dont la vue coute aux etrangers trois fois plus cher qu aux Argentins ! Les agences de voyages et autres commerces touristiques surencherissent : c est a celui qui trouvera le nom le plus aguicheur. Selk’nam Tours, Kewashkar Cafe, Librairie Onas, etc. On utilise le nom des tribus indigenes sans vergogne, dans un besoin d afficher ses tendances « politiquement correctes » apres cinq cents ans de denigrement, de destruction et de genocide. Si ces lieux sont faits pour les touristes, il n ont reussi, en ce qui nous concerne, qu a nous faire fuir. Mais jusqu ou ? Nous sommes bientôt au bout. C est inquietant…

Retour a l envoyeur : le Chili (tout cela semble complique, mais avec une bonne carte sous les yeux, vous comprendrez que tout les chemins ne menent pas en Patagonie chilienne !). Toujours plus au sud, en cette Patagonie qui se fait de plus en plus chauve et fanee. Et voila qu a quelques brasses de la Terre de Feu, au nord du detroit de Magellan, nous decouvrions, hors des sentiers touristiques, la vie patagone, la vraie. Pas celle des longues randonnees a travers les parcs nationaux (qui, ceci dit, valent le detour) a chatoiller de l oeil le guanaco (lama sauvage, pour etre rapide) et le campeur colore. Non, la Patagonie du « gaucho », de cet homme aux joues rouges de vent et d etendues qui, depuis qu il s est empare de cette terre, y vit a cheval parmi ses moutons et ses vaches. L oeil fier, beret basque au front et mate entre les mains, il ne vieillit pas. Le gaucho, d origine europeene, a vole son ame a la Patagonie et a ses habitants qui ne resisterent pas longtemps a son besoin desespere de terre et d expension. Il est alle jusqu ou le monde ne le permettait plus, jusqu ou l herbe jaune faiblit sous la claque du vent.

Nous sommes alles au-dela du domaine du gaucho, de la Patagonie et de la Terre de Feu. Un beau matin, magnifique et serein, le ferry de marchandises nous a deposes sur le rivage de l ile Navarino, aux portes de Puerto Williams, ville la plus australe du monde (vous pensiez qu Ushuaia detenait le record : c est faux !). C est sur cette terre que vivaient les Yamana (yagan) avant que l homme blanc ne viennent l exterminer a coup de microbes, de peche intensive et de prieres. Aujourd hui, la derniere Yamana de sang pur, Cristina Calderon, partage son temps entre la fabrication d artisanat a vendre aux touristes et la participation aux nombreux documentaires realises sur elle. Dans son immense hypocrisie, l homme blanc pleure sur les restes des cultures qu il a lui-meme annihilees, tandis que d autres genocides ont lieu sous ses yeux sans qu il daigne s en inquieter.

Fin du monde, fin d un peuple, fin d un voyage... Aujourd hui a Ushuaia, je ferme les yeux sur ce saisissant voyage, sur les montagnes enneigees et les forets d epinettes du Canada, sur les fiords brumeux d Alaska et du Chili, sur la banquise immaculee de l Arctique et le desert de sel de l altiplano, sur les plages soyeuses des Caraibes et les formes provocantes des canyons d Arizona et du Mexique. Je deguste du regard les glaciers de Patagonie, l immense jungle amazonienne et les ruines incas. J entends les chants excites des Tlingit, le son rugissant des tambours Dene, la melodie de la flute Navajo. Je partage de nouveau l intimite des femmes Kuna, Quechua et Maya. J ecoute les plaintes des Mapuche, des Aymara et des Guambiano. Je savoure la diversite de cette Amerique que j aime, je soutiens son cri d unite et sa soif de vie. Je la remercie d etre si belle tout au long de son grand corps maltraite. Je suis reconnaissante aux peuples indigenes de poursuivre la lutte pour la sauvegarde du monde. Je les felicite d avoir survecus au chaos.
De ce bout de monde qui pour nous marque la fin de deux ans de voyage, nous inaugurons aujourd hui le commencement d une belle aventure : celle de la lutte pour la Vie. Nous vous invitons a nous y suivre...
A tous ceux qui ont eu le courage de nous lire, un grand merci !
A tous nos amis Mapuche, Chiliens et Argentins : Chaltumai, gracias !

Nous tenons a remercier tout particulierement : Florence Schall, Luis Azua, Claudio Cratchley, Guillermo Cratchley, Pedro Mariman, Gustavo Quilaqueo, Claudio Curihuentro, Patty Rain, Guido Brevis et Jaime, Pedro Cayuqueo, Lonko Pascual Pichun, Mabel Pichun Cid, Rodrigo Lillo, Pablo Calfuqueo, Joanna Huenchun, Juan Carlos Domihual, Pedro Domihual et Otilia, Oscar et Alberto Nehuelcura et leur famille, Renato Arancibia, Manuel Munoz, Neddiel Munoz, Pablo Aranguiz, Armando Naitureo (lonko de Chiloe), la communaute de Weketrumao (Chiloe) et son lonko Jose Neun, Gerald Huchet, Alvaro Zuniga, les militaires de Puerto Yungai, les gendarmes du poste frontiere du lac du Desert et tous ceux qui ont accepte de partager leur voiture ou leur camion avec nous !
Un grand merci « Special camera » a Olivier Basset, Jacques et Samuel Ducoin, Jean-Luc Diquelou et Odile Paugam.

Quelques sites a visiter selon vos interets :
www.abm.fr (Aventure du Bout du Monde : site de voyageurs)
www.aux4coinsdumonde.org (festival du film du voyage et de l aventure)
www.azkintuwe.org (journal electronique Mapuche en espagnol)
www.wallmapuwen.cl (site officiel du parti politique Mapuche Wallmapuwen)
www.icrainternational.org (soutien aux peuples indigenes dans le monde)



Cordialement,

Julie Baudin et David Ducoin
ameriquenordsud@netcourrier.com
davidducoin@netcourrier.com
baudinjulie@hotmail.com


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