E/CN.4/2004/80/Add.3 - 17 novembre 2003
COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME
Soixantième session
Point 15 de l’ordre du jour provisoire
QUESTIONS AUTOCHTONES
Droits de l’homme et questions autochtones

Rapport du Rapporteur spécial
sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones, M. Rodolfo Stavenhagen,
présenté en application de la résolution 2003/56 de la Commission

MISSION AU CHILI

Résumé

Le présent rapport est soumis conformément à la résolution 2003/56 de la Commission des droits de l’homme et porte sur la visite officielle que le Rapporteur spécial sur la situation des
droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones a faite au Chili du 18 au 29 juillet 2003.

En 1993, le Chili a adopté la loi sur les autochtones (no 19.253) dans laquelle l’État reconnaît les autochtones comme «les descendants des groupes humains présents sur le territoire national depuis l’époque précolombienne, qui conservent des caractéristiques ethniques et culturelles propres, la terre étant pour eux l’élément central qui fonde leur existence et leur culture». Les principales ethnies autochtones du Chili sont les Mapuches, les Aymaras, les Rapa Nui (ou Pascuans), les Atacameños, les Quechuas, les Collas, les Kawashkars ou Alacalufes et les Yámanas ou Yagans. À l’heure actuelle, les peuples autochtones du Chili représentent quelque 700 000 personnes, soit 4,6 % de la population.

Malgré les efforts déployés depuis le rétablissement de la démocratie, la population autochtone reste en marge en termes de reconnaissance et de participation à la vie publique du pays. Cet état de fait est l’héritage d’une longue histoire de déni, d’exclusion sociale et économique et de discrimination de la part du groupe majoritaire. Le Chili n’a toujours pas réalisé de réforme constitutionnelle ni ratifié la Convention no 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux.

Quoique l’attention du public se soit surtout concentrée sur la situation du peuple mapuche, en matière de droits de l’homme, des problèmes subsistent qui touchent tous les peuple autochtones du pays. Il faut avant tout signaler les taux élevés de pauvreté et le faible niveau de vie, dont témoignent plusieurs indicateurs de développement humain, inférieurs à la moyenne nationale chez les autochtones. Les politiques d’aide du Gouvernement, aussi importantes soient-elles, n’ont à ce jour pas suffi à changer cette situation.

C’est dans le domaine des droits fonciers et de la reconnaissance des territoires que les problèmes, hérités de l’histoire, sont les plus graves pour les peuples autochtones du Chili, victimes d’un long passé de spoliation de leurs terres et de leurs ressources. Le programme d’achat de terres pour les autochtones engagé par les gouvernements démocratiques, qui prévoit l’octroi de titres de propriété sur des terres privées mais non la restitution des anciennes terres détenues par les communautés, se met lentement en place, avec des ressources insuffisantes, ce qui fait qu’il n’a pas permis d’acheter toutes les terres nécessaires, d’où le mécontentement de la population autochtone. La problématique est plus complexe encore pour ce qui est de l’utilisation des ressources du sous-sol et autres, telles que l’eau et les produits de la mer.

Les textes de loi régissant ces différents secteurs facilitent et protègent en effet l’enregistrement de droits de propriété privés sur des ressources qui étaient traditionnellement collectives. La protection et la promotion des droits des autochtones ont été compromises par la construction de la centrale hydroélectrique de Ralco en amont du fleuve Biobio, des obstacles qui empêchent les Aymaras et les Atacameños d’avoir accès aux sources d’eau et de les exploiter dans la région aride du nord du pays, ainsi que les restrictions imposées à de nombreuses familles lafkenches, sur la côte de l’Araucanie, qui entravent leur libre accès à leurs ressources halieutiques et produits côtiers traditionnels.

Au cours des 13 dernières années, le Gouvernement a fait des efforts notables sur le plan économique et social, mais il existe toujours de grands besoins non satisfaits de services sociaux dans les communautés autochtones. Si la croissance économique soutenue des dernières années a bénéficié aussi à bon nombre d’autochtones, la qualité de vie de ces derniers est bien en deçà de la moyenne nationale et de celle des Chiliens non autochtones. Malgré le recul de la pauvreté, les graves inégalités économiques touchent bien davantage les autochtones que le reste de la population. En matière de santé par exemple, les autochtones font systématiquement l’objet d’une discrimination pour les services médicaux et la qualité des soins. La médecine traditionnelle des communautés a été dévalorisée, ignorée, quand sa pratique n’a pas été purement et simplement interdite. Les quelques mesures prises pour promouvoir la médecine interculturelle dans certains hôpitaux des régions autochtones donnent des résultats prometteurs, mais ce programme n’en est qu’à ses débuts.

En dépit des efforts réalisés dans le domaine de l’éducation bilingue interculturelle, la majorité des communautés autochtones ne bénéficient pas encore de ce genre d’instruction, et à ce jour le système éducatif n’a pas répondu pleinement aux besoins des autochtones qui veulent protéger, préserver et développer leur culture traditionnelle. La volonté de préservation de l’identité culturelle est pourtant évidente dans toutes les régions visitées. Ainsi les Atacameños et les Quechuas dans le nord du pays, se plaignent de la perte de leur langue à la suite de l’assimilation («chilénisation») forcée à laquelle ils ont été soumis depuis la guerre du Pacifique.

L’identité du peuple rapa nui est menacée par l’accroissement de l’immigration dans l’île, alors que les autorités traditionnelles n’ont aucune maîtrise des conséquences de ces flux migratoires.

À la lumière de ces constatations, le Rapporteur spécial recommande entre autres choses au Chili d’accélérer son processus de réforme constitutionnelle sur les questions autochtones; de
ratifier sans délai la Convention no 169 de l’OIT; de réviser les dispositions des lois qui peuvent être incompatibles avec celles de la loi sur les autochtones; mettre en place un programme de lutte contre la pauvreté dans les communautés autochtones en arrêtant un calendrier réaliste et bien défini et de prendre les mesures nécessaires pour créer une institution nationale de défense des droits de l’homme. Il lui recommande également de s’occuper d’urgence de la question de la prévention et du règlement des litiges en matière de propriété et d’exploitation des terres; d’accélérer la mise en œuvre et d’étendre la portée du Fonds spécialement créé («Fondo de Tierras»); de garantir l’accès des communautés autochtones aux ressources aquifères et maritimes; de prendre les mesures nécessaires pour éviter la criminalisation des actes légitimes de protestation ou de revendication sociale et d’assurer une assistance juridique de qualité et bilingue.