Résumé
Le présent rapport est soumis conformément à
la résolution 2003/56 de la Commission des droits de l’homme
et porte sur la visite officielle que le Rapporteur spécial
sur la situation des
droits de l’homme et des libertés fondamentales des
populations autochtones a faite au Chili du 18 au 29 juillet 2003.
En 1993, le Chili a adopté la loi sur les autochtones (no
19.253) dans laquelle l’État reconnaît les
autochtones comme «les descendants des groupes humains présents
sur le territoire national depuis l’époque précolombienne,
qui conservent des caractéristiques ethniques et culturelles
propres, la terre étant pour eux l’élément
central qui fonde leur existence et leur culture». Les principales
ethnies autochtones du Chili sont les Mapuches, les Aymaras, les
Rapa Nui (ou Pascuans), les Atacameños, les Quechuas, les
Collas, les Kawashkars ou Alacalufes et les Yámanas ou
Yagans. À l’heure actuelle, les peuples autochtones
du Chili représentent quelque 700 000 personnes, soit 4,6
% de la population.
Malgré les efforts déployés depuis le rétablissement
de la démocratie, la population autochtone reste en marge
en termes de reconnaissance et de participation à la vie
publique du pays. Cet état de fait est l’héritage
d’une longue histoire de déni, d’exclusion
sociale et économique et de discrimination de la part du
groupe majoritaire. Le Chili n’a toujours pas réalisé
de réforme constitutionnelle ni ratifié la Convention
no 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et
tribaux.
Quoique l’attention du public se soit surtout concentrée
sur la situation du peuple mapuche, en matière de droits
de l’homme, des problèmes subsistent qui touchent
tous les peuple autochtones du pays. Il faut avant tout signaler
les taux élevés de pauvreté et le faible
niveau de vie, dont témoignent plusieurs indicateurs de
développement humain, inférieurs à la moyenne
nationale chez les autochtones. Les politiques d’aide du
Gouvernement, aussi importantes soient-elles, n’ont à
ce jour pas suffi à changer cette situation.
C’est dans le domaine des droits fonciers et de la reconnaissance
des territoires que les problèmes, hérités
de l’histoire, sont les plus graves pour les peuples autochtones
du Chili, victimes d’un long passé de spoliation
de leurs terres et de leurs ressources. Le programme d’achat
de terres pour les autochtones engagé par les gouvernements
démocratiques, qui prévoit l’octroi de titres
de propriété sur des terres privées mais
non la restitution des anciennes terres détenues par les
communautés, se met lentement en place, avec des ressources
insuffisantes, ce qui fait qu’il n’a pas permis d’acheter
toutes les terres nécessaires, d’où le mécontentement
de la population autochtone. La problématique est plus
complexe encore pour ce qui est de l’utilisation des ressources
du sous-sol et autres, telles que l’eau et les produits
de la mer.
Les textes de loi régissant ces différents secteurs
facilitent et protègent en effet l’enregistrement
de droits de propriété privés sur des ressources
qui étaient traditionnellement collectives. La protection
et la promotion des droits des autochtones ont été
compromises par la construction de la centrale hydroélectrique
de Ralco en amont du fleuve Biobio, des obstacles qui empêchent
les Aymaras et les Atacameños d’avoir accès
aux sources d’eau et de les exploiter dans la région
aride du nord du pays, ainsi que les restrictions imposées
à de nombreuses familles lafkenches, sur la côte
de l’Araucanie, qui entravent leur libre accès à
leurs ressources halieutiques et produits côtiers traditionnels.
Au cours des 13 dernières années, le Gouvernement
a fait des efforts notables sur le plan économique et social,
mais il existe toujours de grands besoins non satisfaits de services
sociaux dans les communautés autochtones. Si la croissance
économique soutenue des dernières années
a bénéficié aussi à bon nombre d’autochtones,
la qualité de vie de ces derniers est bien en deçà
de la moyenne nationale et de celle des Chiliens non autochtones.
Malgré le recul de la pauvreté, les graves inégalités
économiques touchent bien davantage les autochtones que
le reste de la population. En matière de santé par
exemple, les autochtones font systématiquement l’objet
d’une discrimination pour les services médicaux et
la qualité des soins. La médecine traditionnelle
des communautés a été dévalorisée,
ignorée, quand sa pratique n’a pas été
purement et simplement interdite. Les quelques mesures prises
pour promouvoir la médecine interculturelle dans certains
hôpitaux des régions autochtones donnent des résultats
prometteurs, mais ce programme n’en est qu’à
ses débuts.
En dépit des efforts réalisés dans le domaine
de l’éducation bilingue interculturelle, la majorité
des communautés autochtones ne bénéficient
pas encore de ce genre d’instruction, et à ce jour
le système éducatif n’a pas répondu
pleinement aux besoins des autochtones qui veulent protéger,
préserver et développer leur culture traditionnelle.
La volonté de préservation de l’identité
culturelle est pourtant évidente dans toutes les régions
visitées. Ainsi les Atacameños et les Quechuas dans
le nord du pays, se plaignent de la perte de leur langue à
la suite de l’assimilation («chilénisation»)
forcée à laquelle ils ont été soumis
depuis la guerre du Pacifique.
L’identité du peuple rapa nui est menacée
par l’accroissement de l’immigration dans l’île,
alors que les autorités traditionnelles n’ont aucune
maîtrise des conséquences de ces flux migratoires.
À la lumière de ces constatations, le Rapporteur
spécial recommande entre autres choses au Chili d’accélérer
son processus de réforme constitutionnelle sur les questions
autochtones; de
ratifier sans délai la Convention no 169 de l’OIT;
de réviser les dispositions des lois qui peuvent être
incompatibles avec celles de la loi sur les autochtones; mettre
en place un programme de lutte contre la pauvreté dans
les communautés autochtones en arrêtant un calendrier
réaliste et bien défini et de prendre les mesures
nécessaires pour créer une institution nationale
de défense des droits de l’homme. Il lui recommande
également de s’occuper d’urgence de la question
de la prévention et du règlement des litiges en
matière de propriété et d’exploitation
des terres; d’accélérer la mise en œuvre
et d’étendre la portée du Fonds spécialement
créé («Fondo de Tierras»); de garantir
l’accès des communautés autochtones aux ressources
aquifères et maritimes; de prendre les mesures nécessaires
pour éviter la criminalisation des actes légitimes
de protestation ou de revendication sociale et d’assurer
une assistance juridique de qualité et bilingue.