Prisonniers politiques Mapuche : notre longue injustice

par Pedro Cayuqueo
Collectif de Kontre-information Mapuche Lientur
www10.brinkster.com/mapuche

A l'heure où j'écris ces mots, deux jeunes Mapuche, membres d'une communauté renommée de la Province de Malleko, et prisonniers politiques de la prison de Traiguén, se trouvent hospitalisés du fait de l'aggravation de leur état physique affaibli par une grève de la faim qu'ils ont, tous deux, entamé il y a déjà un mois. Leur exigence légitime de justice et liberté a été irrémédiablement brisée devant la sourde oreille des procureurs qui constitue dans la région de l'Araucanie (NDT. territoire historique des Mapuche se trouvant dans le sud du Chili) cette expérience de justice neonazi appelée, de manière euphémique, Ministère Public.

Les deux jeunes, Rafael et Pascual Pichún, ont été arrêtés il y a cinq mois dans leur communauté par des membres de la police civile chilienne. Ils sont suspectés d'être les auteurs d'une tentative d'incendie à la bombe molotov qui, dans la soirée du vendredi 14 avril, dans des circonstances toujours non élucidées, a réduit en cendres un camion forestier aux alentours de la grande propriété en conflit Nancahue, dont le propriétaire n'est autre que le tout puissant Juan Agustín Figueroa, ex ministre du premier gouvernement de la Concertation (NDT. ce rassemblement de "partis démocratiques" est au pouvoir depuis le "retour à la démocratie" en 1990) , membre du Tribunal Constitutionnel de la République et qui, en outre, est aujourd'hui chargé d'administrer le legs culturel du poète universel et prix Nobel pro-mapuche, Pablo Neruda.

Il s'agissait en apparence d'un attentat à des fins politiques, semblable à beaucoup d'autres qui ont eu lieu dans les différentes zones de conflit et dont la paternité, bien qu'elle n'ait pas été déterminée avec exactitude par les procureurs "chasseurs de Mapuche", maintient ces deux jeunes confinés depuis plus de cinq mois dans une cellule froide, considérés par la juge comme de véritables "dangers" pour la société. Pour quelle société ? Ce que certains d'entre nous se demandent avec une certaine raison, c'est si, au Chili, toute personne est considérée innocente jusqu'à preuve du contraire, comme le prônent les affiches du Ministère ornant les murs de l'accueillant bureau de la juge : si vraiment ils peuvent être un danger, le sont-ils pour la Société de Promotion Manufacturière, pour la Société d'Exportateurs Forestiers ou pour la Société Nationale d'Agriculture ?

En début de soirée de ce même jour, le vendredi 14 avril, des effectifs policiers ont débarqué mitraillettes à la main dans la maison de la famille Pichún Coyonao dans le secteur de Temulemu. Ils ont violemment frappé ses occupants, dans la majorité des femmes et des enfants, et à coup de pied et de poings ils ont emmené Pascual et Raphael à Traiguén pour qu'ils admettent leur participation à un délit alors que ces derniers criaient leur innocence. Leur mère, Flor Coyonao, n'a rien pu faire pour empêcher que les agents de l'Etat lui emportent ses enfants. Son père, le lonko (chef traditionnel) Pascual Pichún, fut tout aussi impuissant. Depuis la solitude de son emprisonnement dans la prison de Traiguén (où il se trouvait et se trouve encore accusé également de "terrorisme"), il a à peine eu le temps de demander aux esprits de ses ancêtres qu'ils protègent ses fils et leur donnent la force suffisante pour faire face aux durs interrogatoires auxquels ils allaient être confrontés dans l'obscurité des cachots de l'Araucanie.

Rafael tout comme Pascual ont dénoncé plus tard avoir été torturés physiquement et psychologiquement pendant leur période prolongée d'isolement extrajudiciaire. Des effectifs appartenant à d'organismes d'enquête policière, les ont forcés à livrer des preuves, admettre leur participation aux délits, ou encore dénoncer d'autres dirigeants et membres de leur communauté. Selon les deux frères, cette même scène de menaces et de propositions indécentes s'est répétée quelques jours plus tard en présence du procureur en chef du Ministère Public de Traiguén, Raúl Bustos, chargé de l'enquête judiciaire du cas et reconnu par plusieurs prisonniers politiques comme un des principaux promoteurs de la "délation récompensée" dans cette zone de conflit. C'est-à-dire, qu'il s'agit d'un système légal de trahison imposé à la fin de la dictature par l'Oficina (NDT service secret chargé de la persécution et élimination des groupes d'extrême gauche révolutionnaires lors du prétendu "retour à la démocratie") qui, au fur et à mesure des années, est devenu l'un des mécanismes le plus dégoûtant du système pénal chilien d'inquisition.

Deux jours après leur fatidique arrestation, le lundi 17, les deux frères auraient du se présenter à l'Université Catholique de Temuco pour commencer une nouvelle étape dans leur vie en tant qu'étudiants universitaires. Malgré les difficultés propres à leur appartenance à une communauté Mapuche plongée dans la pauvreté et la marginalisation sociale, tous les deux avaient l'opportunité de suivre les pas de leur grand frère en étant sélectionnés dans la formation universitaire de Pédagogie Interculturelle Bilingue. Pascual tout comme Rafael, amateurs de folklore traditionnel et leaders du groupe musical Mapuche Kimkache, rêvaient de devenir des professeurs de mapudungun (NDT langue des Mapuche) et enseigner ainsi aux enfants de leur communauté une parole tant de fois niée à notre peuple. C'est tout du moins ainsi qu'ils le manifestaient quelques semaines à peine avant leur détention, à Bariloche (Argentine)à l'occasion d'une Rencontre "Art et Pensée" à laquelle ils avaient été invités par d'autres jeunes tout aussi enthousiastes.

Aujourd'hui les deux frères se trouvent menottés à des lits d'un hôpital froid, surveillés vingt-quatre heures sur vingt-quatre par des policiers en civils rodant dans les couloirs, reliés tous les deux à une nutrition intraveineuse, risquant chacun leur vie précieuse pour obtenir une liberté qui leur a déjà été niées trop de fois.

Peut-être un jour, parviendront-il à devenir de bons professeurs de mapudungun et réussiront-ils à ce que les enfants de leur communauté grandissent en valorisant les savoirs traditionnels de notre peuple. Pour le moment, ce sont seulement des classes de dignité et de cohérence avec leur valeur qu'ils peuvent offrir tant à ces enfants qu'à chacun de nous. Que ces mots écris à la rapide soient une sorte d'hommage pour tous les deux.

Newentuaiñ pu peñi, pu kona... Amulepe taiñ weichan, marrichiweu!!.

Force frères, guerriers... Notre lutte continue, dix fois nous vaincrons!!.


Trad. RISPM

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