Mapuche / Chili - La lettre de Nitassinan - Mars-Avril 2009

Répression, humiliation et violation des droits

Malgré de nombreuses promesses et de beaux discours, les droits indigènes en Ngulumapu (territoire mapuche situé dans le sud du Chili) continuent à être bafoués. En témoignent les geôles du sud du pays qui comptent une trentaine de prisonniers politiques mapuche. Alors qu’un récent procès concluait à l’innocence d’un dirigeant accusé de l’incendie d’une propriété qu’il revendiquait1), des arrestations pour d’autres affaires ont affecté des militants et des membres de communautés2). Le résultat de certains procès a été plus contrasté : des peines avec sursis alors que les procureurs demandaient la fermeté ; ou encore l’acquittement d’une partie des accusés et la condamnation d’autres, qui bénéficiaient des mêmes preuves établissant leur innocence3)

Parmi la longue liste des prisonniers politiques mapuche, une quinzaine de personnes sont déjà condamnées à des peines allant de cinq à dix années de prison, par loi antiterroriste ou commune, lors de procès dont l’équité a été questionnée. Le reste des prisonniers est en attente de procès, il est probable que la plupart soient acquittés après avoir passé plusieurs mois en prison préventive ou qu’ils soient finalement condamnés pour des broutilles, comme cela a été le cas de nombreuses personnes jusqu’à maintenant.
Les récents acquittements prononcés et divers rebondissements judiciaires qui se sont conclus par des non-lieux montrent que la justice n’est pas aveugle mais, à travers elle, l’État, son oligarchie et ses procureurs essaient de maintenir en prison des personnes innocentes dans le but de les faire parler ou de leur faire payer "les péchés" de leurs congénères. L’expression « payer les péchés de la communauté » a été utilisée il y a quelques années par un important notable chilien, Juan Agustin Figueroa, lors d’un procès destiné à condamner des chefs traditionnels pour un incendie qu’ils n’avaient pas perpétré. Force est de constater que cette même logique, celle de la rancœur, de la négation, est encore aujourd’hui en œuvre au Chili. La police n’arrivant pas à identifier les responsables d’actes non revendiqués mais en relation avec les conflits territoriaux (incendies de camions forestiers, de propriétés revendiquées…), elle s’en prend aux dirigeants ainsi qu’aux membres des réseaux de soutien aux communautés et aux prisonniers politiques. Ces derniers mois, une nouvelle vague de répression s’est ainsi abattue sur des personnes mapuche et non-mapuche, suspectées de commettre des délits du simple fait qu’elles participaient à ces groupes de soutien dont la multiplication témoigne de la solidarité de plus en plus forte de la société chilienne. Ces arrestations ont été accompagnées de violentes perquisitions dans les demeures des accusés, et d’attitudes discriminatoires et humiliantes envers des familles.

Sous couvert de la loi antiterroriste

À ceux qui transgressent le sacro-saint État de droit en revendiquant des droits politiques et territoriaux particuliers, une punition de taille doit être réservée. L’emprisonnement et la répression envers les communautés et les organisations qui se mobilisent pour leurs droits et leurs territoires, en dehors des chemins bureaucratiques imposés par l’État, ne sont que l’expression du ressentiment porté par la classe dirigeante. La loi du talion est de mise, l’humiliation en est une des techniques pour que non seulement le prisonnier ressente le sens de la punition, mais également ses proches. Elle a pour but de faire des exemples et de proscrire toute mobilisation des communautés se faisant en dehors des procédures bureaucratiques. L’humiliation a tendance à s’institutionnaliser, un prisonnier politique mapuche s’est vu récemment obligé de se couper les cheveux sur ordre de la juge d’instruction sans qu’il n’y ait aucune protestation de la part des différentes administrations. Une loi promulguée au mois de novembre dernier institue la création d’un fichier génétique imposant à toutes les personnes condamnées, et en premier lieu aux prisonniers politiques mapuche et à ceux qui l’ont été dans le passé, d’être soumises à un prélèvement ADN.
Face aux protestations de la société civile, l’État chilien n’a pas choisi mieux que d’invoquer la loi antiterroriste promulguée en pleine dictature, et cela malgré les promesses de campagne de Michelle Bachelet de ne plus l’appliquer contre des Mapuche. Ainsi, plusieurs membres de réseaux de soutien, à Santiago et dans le sud du pays, ont été emprisonnés ces dernières semaines (février-mars 2009), leur domicile mis à sac et leur famille maltraitée au nom de la lutte antiterroriste. Gouvernement et autorités judiciaires se défendent encore une fois de faire preuve de racisme en sous-entendant que les arrestations sont liées à des actes terroristes ou délictuels et aucunement à la cause légitime mapuche. On retrouve dans les discours politiques actuels la même litanie, le fantasme d’une infiltration du mouvement mapuche autonomiste par des groupes subversifs d’extrême gauche et antipatriotiques. Elena Varela, une documentariste chilienne qui travaillait depuis plusieurs années sur un documentaire sur la lutte du peuple mapuche, laissant la parole aux acteurs et aux premiers concernés, ceux qui luttent et qui sont réprimés, a fait l’objet de cette suspicion. En mai 2008, elle a été arrêtée, soupçonnée de mener des activités de grand banditisme derrière sa couverture de documentariste engagée auprès des Mapuche. Aujourd’hui, alors que les preuves à son encontre sont faibles, voire inexistantes, et laissent entrevoir un montage politico-judiciaire, elle risque pourtant quinze années de réclusion4).    

Toujours pas de reconnaissance constitutionnelle

L’attitude de la part de la classe dirigeante chilienne, consistant à considérer les Mapuche comme un groupe incapable de s’organiser en tant qu’acteur politique autonome, est perceptible sur un autre plan, comme on a pu le constater avec les récents débats sur la reconnaissance constitutionnelle des Peuples indigènes. En effet, parmi les promesses faites aux peuples autochtones lors du retour à la démocratie, en 1989, celle de leur reconnaissance constitutionnelle reste encore aujourd’hui d’actualité. Cette modification de la Constitution doit permettre l’application de la Convention 169 de l’OIT, récemment ratifiée par le Chili, et introduire ainsi les questions du pluralisme politique et juridique dans le pays. Des propositions de modification de texte constitutionnel et des débats ont eu régulièrement lieu au Parlement sur ces questions qui restent très sensibles dans un pays centraliste et peu ouvert à la diversité culturelle. Pour preuve, aucune des propositions, qu’elles proviennent des députés ou du gouvernement, n’a pris en compte les revendications des organisations indigènes, premières concernées, qui n’ont pas été consultées et n’ont pas donné leur consentement, comme le prévoient les normes internationales que le Chili prétend appliquer.
Pire encore, le texte de "reconnaissance constitutionnelle" considère que les peuples indigènes ne sont pas sujets de droit. Bartolomé Clavero, expert et membre du Forum Permanent sur les questions autochtones à l’ONU, explique ainsi que « la réforme constitutionnelle qui, en théorie, doit reconnaître une fois pour toutes les peuples indigènes au Chili, essaie d’empêcher que ceux-ci bénéficient de droits importants tels que la propriété communautaire de l’eau. » Au cours de ces débats parlementaires censés bénéficier aux peuples indigènes, mais dont ils étaient absents, la seule formule ayant obtenu pour le moment l’adhésion d’une majorité de députés dit que « la Nation chilienne est une et indivisible ». Ce consensus témoigne du manque de volonté politique existant aujourd’hui pour accorder aux peuples indigènes des droits. Cela peut certainement s’expliquer par les importants enjeux économiques que ces droits soulèvent (l’accès aux ressources hydriques pour les entreprises minières dans le Nord, l’exploitation forestière et hydroélectrique dans le Sud) mais également par la persistance de ressentiments et de vieilles idéologies racistes au sein de la société chilienne, et plus particulièrement parmi ceux qui la dirigent.

Nicolas Chevalier

1) Le 11 février 2009, le Lonko (chef traditionnel) de la communauté Pascual Coña (commune de Cañete, Province d’Arauco), Avelino Meñaco, a été acquitté en seconde instance, au tribunal de Cañete. Accusé d'avoir incendié une cabane, il risquait dix années de réclusion.   
2) Les arrestations dans le cadre des revendications des droits territoriaux et politiques des communautés ont dépassé, depuis le début l’année, la cinquantaine de personnes, certaines d’entre elles demeurent aujourd’hui en prison préventive.
3) Le 10 mars 2009, le tribunal d’Angol a condamné trois des sept personnes qui s’étaient présentées au procès de l’incendie d’un camion forestier près de la communauté de Chequenco. Parmi les condamnés, on trouve le fils d’un chef traditionnel, qui est en fugue après avoir été accusé d’acte terroriste. Dans un autre cas, celui de l’incendie de la voiture d’un journaliste lors d’un barrage routier en faveur des prisonniers politiques mapuche dans la province d’Arauco, les quatre inculpés ont été condamnés à trois ans et un jour de prison avec sursis.
4) Pour plus d’informations sur la situation d’Elena Varela et du procès qui aura lieu ces prochains mois, on peut consulter http://elena.varela.free.fr (français) et http://www.libertadaelenavarela.blogspot.com (espagnol et plus complet)