Edito Juillet 2008

Hommage à l’un des inspirateurs du Réseau d’Information et de Soutien au Peuple Mapuche

 

Il y a quelques semaines, alors qu’on célébrait le we tripantu, le nouvel an Mapuche, en Wallmapu (territoire mapuche), on apprenait la triste nouvelle du décès du Ngenpin, Jorge Pichiñual. Pour avoir eu la chance de le connaître et d’avoir partagé son quotidien, je voudrais saluer la mémoire d’un homme qui durant toute sa vie a été un exemple de persévérance et de courage dans la lutte qu’il a menée pour la promotion et la défense des droits de son peuple, et aussi  contre une maladie qui le rongeait depuis plusieurs années.

Durant la dictature, alors âgé d’une vingtaine d’années, Jorge avait quitté sa communauté d’origine de Trawa Trawa, au bord du lac salé Budi, pour aller travailler à Santiago. Puis rapidement, il rejoignit les « Centre Culturel Mapuche » créés en 1978 avec le soutien de l’Eglise catholique et en réaction à la loi qualifiée « d’ethnocidaire » de division de communautés, dictée par le régime militaire. Il rencontra celle qui sera sa femme et la mère de ses trois enfants, Lucy, avec qui il repartit s’installer dans sa communauté d’origine, afin d’y travailler la terre mais également d’y revendiquer les droits politiques et territoriaux de son peuple. Il continua à militer dans l’organisation mapuche unitaire et issue des centres culturels, Admapu, durant la dictature. Il fit partie des dirigeants et des autorités traditionnelles qui s’opposèrent au projet du Général Pinochet de transformer toute la zone du lac Budi en zone protégée, ce qui impliquait d’interdire l’accès à certains lieux de cérémonies et de pratiques culturelles aux habitants mêmes de ces communautés. Puis, au début des années 90, époque qui fut marquée par la « transition démocratique » et la célébration des 500 ans de la « découverte des Amériques », Jorge Pichiñual participa à la fondation du Conseil de Toutes les Terres qui allait devenir un référent politique important, jouant un grand rôle dans l’explosion de la pratique des « récupérations de terre ». C’est justement à la suite de diverses récupérations de terres en 1992, auxquelles Jorge participa dans la province de Malleco, et notamment dans les communautés de Temulemu Grande et Didaico, qu’il fut arrêté et accusé avec 143 autresMapuche « d’usurpation de terres » et « d’association illicite ». Ce n’est qu’en 1998, que  la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme, à Washington, reconnaitra l'existence d’« irrégularités » dans les procès menés contre les 144 membres du Conseil de Toutes les Terres, obligeant l’Etat chilien à trouver « une solution amicale » pour dédommager ces victimes de violations des Droits de l’Homme.

Lorsque je rencontrai Jorge et sa famille, il y a une izaine d’années de cela, il venait de se présenter en tant que candidat indépendant aux élections de conseillers municipaux de Puerto Saavedra, et bien qu’atteint d’un cancer, cela ne l’empêchait pas de continuer à mobiliser les communautés du Lac Budi contre la construction d’une autoroute sur leur territoire. Une telle entreprise n’était pas facile face aux pressions de l’Etat et de ses fonctionnaires, et au soutien d’un « institut indigène » aux dirigeants en faveur de la construction de la route. Mais petit à petit, Jorge est parvenu à unir un front de résistance à l’autoroute dans sa zone, tandis que dans d’autres communes, des dirigeants, tel que Domingo Rain, en faisaient de même, réussissant ainsi à faire reculer le projet d’autoroute. Fort de sa victoire, il continua à participer à diverses réunions avec le Mouvement d’Identité Lafkenche. Parallèlement à son rôle de dirigeant, et alors qu’il souffrait de rechutes car bénéficiant de moyens précaires pour se soigner, Jorge était respecté dans sa zone pour son rôle, de Ngenpin, c'est-à-dire d’orateur et de « sage » durant les cérémonies de sa communauté, les Ngillatún. Aussi, lorsque les Etats chilien et argentin proposèrent d’inscrire la Ngillatún au patrimoine oral et immatériel de l’humanité, sans consultation préalable auprès des communautés, organisations et autorités traditionnelles mapuche, Jorge s’opposa à une telle initiative et fonda avec Armando Marileo l’Ecole de philosophie et de sagesse ancestrale mapuche, organisant sur leurs territoires en 2004 et 2005, deux rencontres d’« autorités originaires » qui rassemblèrent des centaines de personnes préoccupées par le maintien de la culture et de la langue Mapuche au Chili et en Argentine.

Certes Jorge n’était pas un de ces nombreux dirigeants qui voyagent à l’étranger pour dénoncer la situation vécue par le peuple Mapuche, mais il fut l’une des personnes qui suscita et inspira la création du Réseau d’Information et de Soutien au Peuple Mapuche. Les premières pages de ce site, il y a 8 années maintenant, furent en effet dédiées à ses luttes contre l’autoroute de la Côte et contre sa maladie.  

Son esprit continuera parmi nous. Sa persévérance, sa force d’esprit et son engagement dans la lutte de son peuple resteront  à tout jamais gravés dans nos mémoires comme un exemple à suivre dans nos combats quotidiens.

PEUKAYAL TAÑI WENÜY JORGE, MVNA KUMEY TAÑI ZUNGUN KA KIMUN
NIERPUAFIÑ TA ÑI RAKIZUAM MEU

Fabien Le Bonniec,
chercheur en sciences sociales et historiques,
RISPM.